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L’AFRIQUE SOUS LA DOMINATION FRANÇAISE.

Ce qui fait, à mes yeux, le mérite principal du gouvernement des Romains c’est sa diversité infinie. Ils ne s’étonnaient pas des différences de mœurs, de lois et d’institutions, et ne cherchaient pas à établir l’uniformité. Ils avaient le génie de gouvernement et non l’esprit de système. Rome laissait à chaque peuple et à chaque cité ses lois et ses institutions locales. Sous les Romains, les Grecs avaient encore leurs places publiques, leurs orateurs, leurs luttes de paroles ; ils avaient des partis et des haines ; ils s’exilaient, ils se condamnaient les uns les autres ; ils se trouvaient presque libres, se sentant toujours divisés et ennemis. Sous les Romains, les villes de l’Italie avaient gardé leurs municipes. Le monde enfin avait été conquis sans être dérangé, et voilà pourquoi il obéissait aisément. Nulle part cette sage diversité du gouvernement des Romains n’est plus sensible qu’en Afrique. Comme il y avait en Afrique, entre les diverses populations, différens degrés de civilisation, les Romains ne songèrent pas à gouverner les unes comme les autres, et ils approprièrent leurs moyens de domination ou d’influence au caractère de la population et de la contrée. Jusqu’à la conquête définitive de l’Afrique, c’est-à-dire jusqu’à la réduction en provinces romaines de la Mauritanie césarienne et de la Mauritanie tingitane (43 ans après Jésus-Christ), Rome eut pour politique de gouverner le pays par l’entremise de princes indigènes. Ainsi, après la prise de Carthage, elle fit, il est vrai, d’une partie des possessions carthaginoises une province romaine ; mais elle agrandit le royaume de Numidie. Après la destruction de Jugurtha, elle conserva encore le royaume de Numidie, qu’elle affaiblit seulement en augmentant le royaume de Mauritanie, que possédait Docchus, qui lui avait livré Jugurtha. César après la défaite de Juba Ier fit de la Numidie une province romaine, et Auguste des deux Mauritanies, la Césarienne et la Tingitane (les provinces d’Alger et d’Oran), fit aussi une province romaine ; mais bientôt il reconnut qu’il s’était trop hâté, et, alors prenant une portion de la province de Numidie, il en créa un royaume qu’il donna à Juba II. Puis, quand l’influence de cette ombre d’un pouvoir national eut apaisé les haines qu’avait excitées contre Rome le gouvernement de l’historien Salluste, qui pilla effrontément sa province et revint à Rome écrire de belles phrases contre les patriciens déprédateurs du siècle de Jugurtha, Auguste reprit à Juba ce royaume de Numidie et lui en fit un autre des deux Mauritanies, encore quelque peu barbares. Juba les façonna à leur tour au joug de Rome, et, l’œuvre accomplie, Rome reprit à son fils Ptolémée ce nouveau royaume. Après la réduction