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la guerre de Numidie, car vous avez écarté tout ce qui jusqu’ici protégeait Jugurtha, la cupidité, la sottise et l’orgueil, » il avait raison, quoiqu’il eût raison avec l’insolence de l’esprit de parti. Dès que les Romains surent contenir leurs vices, Jugurtha perdit sa principale force, et il fut vaincu. Grace à Dieu, les torts, de nos généraux ne ressemblent pas aux torts des généraux romains, et ils n’ont pas besoin, pour être réparés, des remèdes énergiques et violens qu’invente la colère populaire. Les discussions tempérées de nos chambres suffisent à réparer le mal, quand il y en a ; et, selon moi, ces discussions aident au succès de nos expéditions, au lieu de leur nuire. Si le gouvernement n’avait pas trouvé dans les chambres une ferme résolution de garder l’Afrique, je suis persuadé qu’il n’aurait pas pu maintenir notre conquête, comme il l’a fait, et ces chambres qui discutent sur les expéditions et sur les généraux, ce qui déplaît à quelques adeptes du gouvernement militaire, ce sont elles qui ont sauvé Alger, au lieu de le perdre

Nous venons de voir de quelle manière Rome a conquis l’Afrique. Les causes de sa conquête furent son habileté à opposer les Numides aux Carthaginois et les Carthaginois aux Numides, la supériorité de sa discipline, l’influence de la civilisation, qui corrompit ses ennemis, et enfin sa persévérance, qui fut infatigable. Voyons maintenant de quelle manière Rome a organisé et administré sa conquête ; c’est ici surtout que nous trouverons des exemples à suivre et quelques-uns aussi à éviter.

Rome fut patiente pour conquérir l’Afrique, et elle fut patiente aussi pour la posséder. Ainsi, après la bataille de Zama, elle ne cherche pas à s’établir en Afrique, elle se contente d’étendre le royaume de Massinissa aux dépens du territoire de Carthage, sans cependant donner à son allié une trop grande prépondérance. On sait combien elle aimait à fonder des colonies dans les pays qu’elle avait conquis ; c’étaient des garnisons et des forteresses contre ses ennemis. Cependant, après la seconde guerre punique, elle ne donne pas encore des terres à ses soldats en Afrique, mais en Italie, dans le Samnium et dans l’Apulie[1]. Avant de coloniser l’Afrique, Rome veut d’abord que l’Italie soit tout entière romaine ; ce n’est que plus tard, entre la troisième guerre punique et la guerre de Jugurtha (146-118 avant J.-C.), que Rome ouvrit l’Afrique aux Romains et aux Italiens. Ils s’y

  1. « De agris veterum militum relatum est qui in Africâ bellum perfecissent : emensus divisusque ager Appulus et Samnes. » (Tite-Live, 31.)