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Une fois les Carthaginois écartés de la lice par la bataille de Zama, Rome n’avait plus devant elle en Afrique que les Numides. Jusqu’à Jugurtha cependant, la guerre n’éclata pas entre Rome et les Numides. Ce n’est pas que Massinissa lui-même, ce fidèle allié des Romains, ne comprît le sort que l’avenir gardait à la Numidie ; mais il comprenait en même temps que cet avenir était inévitable. Parfois néanmoins il espérait être soulagé du poids de l’amitié romaine : ainsi Tite-Live[1] raconte qu’au moment de la guerre entre Rome et le roi de Macédoine, toutes les nations étant attentives à l’issue de cette lutte qui devait décider de l’empire du monde, Massinissa, qui envoyait aux Romains du blé, des troupes auxiliaires, des éléphans de guerre et son fils Misagenes, avait cependant fait ses plans pour l’une et l’autre fortune ; « si Rome était victorieuse, il resterait tel qu’il était, car les Romains, qui alors soutenaient Carthage contre lui, ne permettraient pas qu’il envahît le territoire des Carthaginois ; tandis que si les Romains étaient défaits, l’Afrique toute entière tomberait en sa puissance. » Rome l’emporta, et la politique du sénat continua à façonner peu à peu l’Afrique à son joug, tantôt poussant Massinissa contre Carthage, tantôt le contenant. Pendant ce temps-là, les chefs numides s’instruisent aux mœurs et aux idées romaines. Vermina, fils de Syphax, Gulussa, Masgaba, Misagenes, fils de Massinissa, s’étudient à qui sera le plus Romain, à qui prendra le mieux le ton de la civilisation. Les fils de Massinissa viennent même plusieurs fois à Rome. Le sénat aimait que les fils des rois étrangers vinssent faire leur éducation à Rome. Il avait[2] accueilli avec plaisir les envoyés d’Ariarathe, qui amenaient à Rome le fils de ce roi de Cappadoce, afin, disaient-ils, qu’il s’habituât dès l’enfance aux mœurs et aux idées romaines. Jugurtha lui-même, pendant la guerre de Numance, avait servi sous le second Africain ; il connaissait la civilisation romaine, surtout il en connaissait les vices, et c’est à l’aide de ces vices, à l’aide de la vénalité romaine, qu’il résista aux Romains. Il ne chercha pas à combattre la civilisation avec les forces maladroitement empruntées à cette civilisation ; il la combattit par ses faiblesses, et voilà pourquoi il soutint si long-temps la lutte.

Après la défaite de Jugurtha, les Numides devinrent de plus en plus Romains, et quoique, sous Auguste, Rome ait encore laissé debout un royaume de Mauritanie (composé de la province d’Alger

  1. Livre XLII, chap. 29.
  2. Tite-Live, livre XLII, chap. 19.