Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/419

Cette page a été validée par deux contributeurs.
415
L’AFRIQUE SOUS LA DOMINATION FRANÇAISE.

cultiver la terre ; et l’administration supérieure a eu raison, je crois, en 1807, d’annuler un arrêté du général Damrémont qui interdisait aux Européens, dans la province d’Alger, le droit d’acquérir des terres. Dans la province de Constantine, au contraire, qui est une province intérieure, les Européens ne peuvent pas posséder. Là, nous nous contentons de gouverner et de lever le tribut.

Il y a encore une raison qui a dû nous engager à varier, pour ainsi dire, l’exercice de notre domination selon les provinces, comme l’avaient fait les Carthaginois. Autour des villes de la côte, occupées de temps immémorial par des Européens et fréquentées par eux, la propriété avait à peu près le caractère de la propriété européenne ; elle était individuelle. Dans l’intérieur, au contraire, la propriété est collective ; c’est la tribu qui possède et non l’individu, et cela tient à la différence du régime de vie. Autour des villes, les habitans sont surtout cultivateurs ; dans l’intérieur, ils sont pasteurs. Or la pâture comporte surtout la propriété collective. En devenant propriétaire autour des villes, l’Européen ne choquait pas les habitudes établies, tandis que dans l’intérieur il n’eût pas dépossédé seulement un individu, il eût dépossédé une tribu entière[1].

L’organisation de la domination française en Afrique ne diffère donc pas sous ce rapport de celle de la domination carthaginoise. Comme gouverneurs et intendans souverains des provinces intérieures, nous avons même, je l’espère, un avantage sur les Carthaginois ; nous sommes moins avides d’argent. Polybe dit qu’aux yeux des Carthaginois le meilleur gouverneur de province était celui qui levait les plus gros tributs et envoyait au trésor public les plus grosses sommes. Jusqu’ici ce n’est assurément pas sur ce que l’Afrique envoie au trésor public que nous jugeons nos gouverneurs généraux.

Nous avons vu comment les Carthaginois possédaient et gouvernaient en Afrique les provinces qu’ils s’étaient soumises. Voyons maintenant comment ils s’y prenaient pour combattre les populations africaines restées indépendantes, et comment ils parvenaient même à les soumettre peu à peu. Nous connaissons leur administration ; essayons d’expliquer leur politique.

Pour résister aux Numides et pour les vaincre, les Carthaginois avaient deux armes puissantes, l’habileté et l’or. Leur politique fomentait la désunion entre les diverses tribus numides et entre les

  1. Tableau de la situation des établissemens français dans l’Algérie, distribué aux Chambres, février 1838. Voir page 257.