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L’AFRIQUE SOUS LA DOMINATION FRANÇAISE.

devinrent alors des procès jugés devant le sénat romain, et c’est dans les plaidoyers des parties que nous voyons la vieille antipathie des Numides contre les Carthaginois. « Si l’on invoque les droits anciens, disaient les Numides[1], y a-t-il un seul territoire qui appartienne légitimement aux Carthaginois en Afrique ? Ces étrangers ne peuvent revendiquer que le peu de terrain qu’ils ont obtenu de la pitié de nos ancêtres, et, hors de ce terrain, qu’ils n’ont agrandi que par ruse et en découpant en étroites lanières la peau d’un bœuf qui devait servir de mesure à leur enceinte, hors de ce terrain, tout ce qu’ils possèdent est une usurpation et un vol. »

Je trouve dans Polybe un témoignage plus curieux encore de la lutte que l’Afrique soutenait contre Carthage[2]. Après la première guerre punique, Carthage devait plusieurs années de solde à ses troupes mercenaires. Elle tardait à les payer, parce qu’elle était épuisée par les dépenses de la guerre. Les soldats se soulevèrent, ils appelèrent à l’indépendance les villes numides, qui répondirent avec empressement à ce cri de révolte, et bientôt Carthage fut près de sa ruine. Voilà les secousses qu’éprouvait souvent la domination carthaginoise, secousses qu’il est bon de rappeler, ne fût-ce que pour prouver que, même sous les Carthaginois, même pendant cette domination qui a duré sept cents ans, l’Afrique s’est toujours remuée sous le joug.

Le récit que Polybe fait de cette guerre des mercenaires montre de quelle manière Carthage gouvernait l’Afrique. « Les Carthaginois, dit Polybe[3], perdaient tout à cette guerre, et les revenus que les particuliers tiraient de la culture des campagnes, et ceux que l’état tirait des villes et des tribus africaines, et enfin leur armée, que la révolte les empêchait de recruter comme à l’ordinaire parmi les Numides. » Cette phrase est importante ; elle nous apprend deux choses : 1o que les Carthaginois possédaient une portion des terres et les faisaient cultiver à leur profit ; 2o que les villes et les populations africaines leur payaient le tribut.

On a beaucoup vanté dans ces derniers temps le système qui interdit aux Européens en Afrique la possession des terres ; c’est ce système qui a été appliqué dans la province de Constantine, et il a réussi. Au premier coup-d’œil, en voyant les Carthaginois maîtres

  1. Tite-Live, 34.
  2. Livre Ier.
  3. Livre Ier, chap. 71.