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L’AFRIQUE SOUS LA DOMINATION FRANÇAISE.

elle n’a plus de nationalité, elle ne fait plus que changer de maîtres, et ces maîtres sont toujours étrangers ; les côtes de l’Afrique sur la Méditerranée sont comme l’Asie mineure, comme la Syrie, comme l’Égypte, elles appartiennent à tous les vainqueurs.

La conquête musulmane a même eu ceci de curieux, c’est qu’elle s’est plusieurs fois renouvelée en Afrique ; les tribus et les dynasties arabes se sont renversées les unes les autres sur cette terre féconde en révolutions, sans que jamais il y ait eu de dynastie qui soit née du pays. La dernière conquête musulmane a été celle de Barberousse qui fonda la régence d’Alger, ce singulier gouvernement militaire que nous avons renversé en 1830.

Peut-être n’est-il point inutile d’étudier rapidement l’histoire de ces anciennes dominations et de chercher à expliquer le secret de leur force et leur stabilité. Cette recherche peut nous éclairer sur les difficultés que notre domination rencontre en Afrique.

Une première leçon, que je tire de l’étude des auteurs grecs et latins qui ont traité de l’Afrique, c’est qu’il faut du temps et beaucoup de temps pour s’emparer d’un pays. Carthage a mis plus de trois cents ans à s’établir solidement en Afrique ; Rome a mis plus de deux cents ans à la conquérir, et nous, nous voudrions que tout fût fini en dix ans. En Europe les guerres se font vite, surtout depuis le dernier siècle ; une campagne quelquefois achève une guerre. Trompés par ces souvenirs, nous avons cru qu’il nous suffirait aussi d’une campagne ou deux pour faire la conquête de l’Afrique.

Ajoutez que, pour augmenter nos illusions à cet égard, nous nous emparâmes, pour notre début, de la capitale de la régence, et que dans nos idées européennes, quand on a la capitale, on a tout. L’erreur était grande : l’expérience l’a prouvé. Alger n’est que la capitale nominale de la régence ; la régence n’a point de capitale, par cette excellente raison que la régence ne fait point un état, que les nations qui l’habitent ne font point corps, comme nos nations européennes, que chaque ville vit à part, chaque tribu de même, et que la force et la puissance nationale, n’étant rassemblées nulle part, ne peuvent non plus être saisies nulle part. Alger était le séjour du dey ; c’était de là que sortaient les expéditions qu’il envoyait pour lever les impôts et pour faire reconnaître sa douteuse autorité ; c’était la forteresse ou le corps de garde principal de la milice turque : ce n’était point la capitale de la régence, qui est fort éloignée de cet état de civilisation où les nations ont assez de cohésion et d’unité pour avoir une capitale.