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de la société ; la bourse du ministre ne s’ouvre pas plus pour le pauvre que celle du grand seigneur et du bourgeois. Nous ajoutons peu de foi à ces médisances nationales ; nous tairons donc cette foule d’anecdotes caractéristiques à l’aide desquelles les railleurs de Londres s’efforcent de les justifier. Nous nous bornerons à citer la suivante, qui nous semble assez ingénieusement imaginée : Un indigent rencontre un jour dans une des rues d’Édimbourg un ministre qui passait pour très riche, et lui demande une guinée. — Une guinée ! mon ami ; comment veux-tu que je te donne une si forte somme ? lui répond le prêtre. — Alors donnez-moi un shelling ? — C’est encore beaucoup trop. — Alors un farthing ? — Pas plus un farthing qu’un shelling, on ne peut faire la charité au premier venu. — Vous me donnerez du moins votre bénédiction ? — Soit, mon enfant, passe pour la bénédiction. — Fi donc ! s’écrie le mendiant, qu’ai-je besoin de votre bénédiction ? si elle eût valu un farthing, vous ne me l’auriez pas donnée !

Il peut y avoir un fonds de vérité dans ces épigrammes ; il y aurait cependant beaucoup d’injustice à les prendre à la lettre. Fort souvent l’Écossais n’est économe que parce qu’il est obligé de l’être ; il sacrifiera beaucoup moins au paraître que l’Anglais ; en revanche, il ne se refusera aucune des jouissances du comfort le plus étendu. Au lieu de dépenser fastueusement les trois quarts de son revenu en trois mois, et de vivre misérablement pendant les neuf autres mois, caché dans ses terres ou dans quelque bicoque du continent, il aimera mieux vivre toute l’année sans faste, mais en même temps sans privations, préférant aux plaisirs de la vanité l’aisance paisible, la médiocrité heureuse, et le luxe du commode et de l’utile au luxe des inutilités ruineuses. L’Écossais, sous ce rapport, est plus sage que ses voisins. Une chose pour lui n’est pas belle par cela seul qu’elle est chère, et, s’il est pauvre, il ne craint pas de l’avouer. Aujourd’hui en France, la pauvreté est un vice ; en Angleterre, c’est un crime.

L’Écossais applique à tout ces qualités solides qui composent le fonds de son caractère. Quand un homme de la classe moyenne a fait fortune, il sait s’arrêter et se régler ; il est rarement atteint de cette maladie des enrichis qu’on a nommée la folie du nabab. Il ne dépense pas follement, en quelques années, la fortune qu’il a mis les deux tiers de sa vie à acquérir. Il songe, avant tout, à s’établir solidement dans le présent et à s’assurer le plus qu’il peut de l’avenir. Souvent même (car l’Écossais est au fond aussi aristocrate que l’Anglais) il cherchera à perpétuer la durée de son nom. Pour cela, il