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le lecteur, et nous lui laissons volontiers quelque chose à faire ; nous ne supposons pas au public moins d’esprit que nous n’en pouvons avoir. Comme nous lui croyons au contraire une portée d’intelligence au moins égale à la nôtre, certains d’être toujours suivis et compris, nous tendons le plus possible à la perfection. En Écosse, de même qu’en Angleterre, on a moins de respect pour le public. On se croit obligé de tout dire ; on ne peut se décider à laisser le lecteur compléter une idée ; on n’est satisfait que lorsqu’on lui a présenté la question la plus simple sous toutes ses faces. On arrive ainsi à faire des livres très compacts, mais très vides, forts de choses si l’on veut, mais de choses que l’on n’a nul intérêt à savoir ; pour ma part, je dois l’avouer, j’ai souvent trouvé cette prolixité fatigante à l’excès. Quand une chose m’a été dite et prouvée de deux manières, et que je vois poindre un troisième raisonnement, j’ai besoin de faire un grand effort pour ne pas jeter le livre, et je ne résiste jamais à la tenation de tourner la page.

Un autre reproche que l’on pourrait adresser aux critiques écossais et qu’ils méritent surtout aujourd’hui, c’est d’abuser de l’analyse dogmatique et minutieuse et de trop généraliser. On l’a dit avec raison, pour eux, comme pour tout Écossais, les variétés de caractère, les bizarreries des passions, toutes ces nuances en un mot qui composent l’individualité humaine, ne paraissent pas exister. L’homme tel qu’ils le comprennent ou le veulent, n’est plus qu’une machine vivante qui doit penser et qui doit agir d’après des lois inflexibles ; toute intelligence qui tend à s’échapper de ce cercle fatal qu’ils ont arbitrairement tracé leur paraît condamnable. C’est là le côté aride et désespérant de l’esprit écossais. Lord Brougham dans son genre, M. Jeffrey dans le sien, sont de ces caractères absolus, de ces hommes tout d’une pièce, qui deviennent déplaisans et nuisibles par l’excès même de leurs qualités. Le spirituel Hazlitt a remarqué avec beaucoup de justesse, que cette rigueur philosophique, que cette sécheresse calculée avait singulièrement nui à l’esprit si fécond et si vif de M. Jeffrey, auquel il manqua seulement un peu plus de souplesse dans la manière, pour devenir le premier des écrivains de la Grande-Bretagne.

La variété des matières qu’embrasse un recueil du genre de l’Edinburgh Review, auquel chaque livre et chaque fait intéressant appartiennent de droit, et la diversité de talent des écrivains d’élite qui concourent à sa rédaction, corrigent ce que cette tendance systématique aurait à la longue de fastidieux et de monotone. Ces hommes,