Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/397

Cette page a été validée par deux contributeurs.
393
L’ÉCOSSE.

que décochèrent en se jouant les critiques d’Édimbourg, et qui blessa si cruellement l’amour-propre du jeune poète, ne devint pas pour lui l’aiguillon de la gloire, et ne fit pas franchir d’un seul bond à son génie impétueux ces landes du médiocre où il eût pu long-temps s’égarer ? Walter Scott les craignait et songeait à eux en composant ses chefs-d’œuvre. Les capitulations de l’auteur de Marmion avec les critiques de la Revue d’Édimbourg sont curieuses. N’étant pas du même parti politique, le barde écossais ne se confiait pas dans son génie seul pour amortir les traits de leur causticité. Les négociations sur les termes d’un traité de neutralité entre M. Jeffrey et lui durèrent long-temps, et, vers 1810, occupaient les salons d’Édimbourg comme ferait aujourd’hui le projet d’un canal ou d’un rail-way. Du moins, dans ces occasions, ces critiques audacieux s’attaquaient à de dignes champions ; trop souvent ils se sont servis de cette même puissance pour atteindre un but moins noble.

M. Jeffrey, le directeur de l’Edinburgh Review, le chef du clan des critiques (chieftain of the critic clan), comme disait Byron en raillant, fournit, dit-on, dans le principe, à cette publication, près du quart de ses articles. Cette surprenante fécondité s’explique cependant, si l’on vient à considérer la nature du talent de M. Jeffrey, avocat extrêmement habile, mais qui, dans ses travaux littéraires, conserve toujours quelque chose des habitudes de prolixité familières au barreau. M. Jeffrey, par suite de ces mêmes habitudes judiciaires, reporte trop volontiers au tribunal de l’opinion des causes déjà gagnées pour avoir le plaisir de plaider de nouveau et d’emporter de faciles triomphes. Le même reproche pourrait s’adresser à la plupart des critiques écossais. Nous nous ferions difficilement en France à cette lenteur d’esprit et à cette logique si rigoureusement redondante. Il n’est pas jusqu’à leur gaieté qui n’ait quelque chose de didactique et d’apprêté[1]. En France, on procède par ellipses : la clarté rapide, le laconisme énergique, sont les qualités caractéristiques de l’esprit de la nation. Nous avons confiance dans

  1. On peut citer comme exemple la dissertation légale sur la minorité de Byron, qui commence l’article critique des Heures de Loisir. Byron avait intitulé son recueil : Hours of idleness by George Gordon lord Byron a minor. « La loi qui règle les droits des mineurs est parfaitement claire, dit le critique ; le défendeur peut seul l’invoquer, le plaignant ne peut s’en prévaloir. Si donc on intentait un procès à lord Byron pour l’obliger à déposer devant la cour telle quantité de poésie, et si un jugement était rendu, il est très certain qu’il ne serait pas reçu à présenter comme poésie le contenu de ce recueil. » La plaisanterie continue une page entière sur ce ton, qu’on a très justement qualifié de pure flippancy.