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Ce besoin de s’enrichir et de parvenir, de se pousser, comme on dit ailleurs, est devenu plus impérieux encore depuis la révolution qui s’est opérée dans les usages et dans le caractère écossais vers la fin du dernier siècle. L’émigration qui suivit l’abolition du régime des clans, la dépopulation des campagnes, l’agrandissement des villes, le mouvement imprimé au commerce et aux transactions industrielles par suite de communications plus directes établies entre l’Écosse et l’Angleterre, ont été les mobiles les plus puissans de cette révolution qu’on pourrait, à juste titre, appeler sociale.

Vers le milieu du XVIIIe siècle, un vieux chef montagnard s’écriait avec un accent d’amère indignation : « Quand j’étais jeune, un gentilhomme de nos montagnes estimait son importance d’après le nombre d’hommes que ses domaines pouvaient nourrir et mettre sous les armes ; bientôt après, on ne s’est plus inquiété que de savoir la quantité de bétail noir (black cattle) que ces mêmes domaines pourraient faire vivre. À présent, il n’est question que du nombre de brebis qu’on pourrait y élever ; encore une génération, et nous verrons ces fermiers des grands seigneurs calculer le nombre de rats et de souris que pourra engraisser la même étendue de terrain ! » La prédiction du vieux montagnard ne s’est pas encore réalisée, mais ses plaintes n’étaient que trop fondées.

Lorsqu’à la suite de la rébellion de 1715, l’Angleterre décréta l’abolition des juridictions seigneuriales et des clans, elle se proposait seulement de désarmer le pays et de licencier de petites armées permanentes, toujours prêtes à suivre un chef héréditaire ; elle ne croyait en aucune façon décréter la dépopulation des montagnes. Ce résultat, tout imprévu qu’il était, ne se fit cependant pas attendre. Clan, en langage gallique, voulait dire enfans ; le clan était la famille du chef. Le chef, quelque grand personnage qu’il fût, était donc obligé de traiter paternellement chacun des membres de sa nombreuse famille. Il ne pouvait, en conséquence, songer à augmenter le prix de leurs fermages, encore moins à les déposséder pour établir à leur place des étrangers qui paieraient plus et qui paieraient mieux. Une fois le lien de famille rompu, et l’autorité du père et celle du magistrat détruites du même coup, tous scrupules de ce genre cessèrent ; une révolution complète s’opéra dans l’administration des grandes propriétés. Les chefs, qui autrefois subdivisaient leurs terres autant que possible, louant chacune de ces parcelles à bas prix, afin d’accroître le nombre de leurs vassaux, et de leurs soldats en cas de guerre, augmentèrent tout à coup le prix de ces loyers, réunirent