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L’ÉCOSSE.

grossières, et se chauffaient à des feux de tourbe ou de gazon. Ces offres séduisantes se réduisaient sans doute à la promesse d’honoraires très modestes ; nous pouvons en avoir une idée d’après le traitement que recevait Boëce, l’ami et le correspondant d’Érasme, et l’un des premiers savans du siècle. Boëce, supérieur de l’université d’Aberdeen, ne touchait qu’un revenu annuel de 40 marcs d’Écosse (2 livres sterling 4 shellings, ou 55 francs). Cette faible somme était cependant proportionnée à ses besoins et à sa dignité.

On conçoit que ces visiteurs italiens aient dû trouver l’Écosse bien misérable, bien en arrière de la civilisation de Florence ou de Venise ; on comprend moins aisément qu’ils se soient tant récriés au sujet de la barbarie des habitans et des mœurs astucieuses et sanguinaires des grands seigneurs. Il n’y avait là rien qui dût les surprendre, ces mœurs différant peu, au fond, de celles de l’aristocratie italienne. Dans le courant des XVe et XVIe siècles, long-temps même avant l’arrivée de la reine Marie Stuart et de sa cour en Écosse, le caractère des hautes classes de la nation avait déjà une frappante analogie avec celui des nobles italiens. Il était à la fois implacable et souple, audacieux et réservé, féroce et cultivé. Une aristocratie insolente, relevant d’un chef unique au lieu d’obéir à une foule de petits tyrans, dominait dans les Highlands, et, dans les basses terres, contrebalançait le pouvoir royal. L’assassinat était la suprême raison des premiers personnages de l’état et des rois eux-mêmes. À l’exemple des guelfes et des gibelins de l’Italie, ces grands seigneurs, rangés sous des bannières opposées, ensanglantaient dans leurs rixes continuelles les rues de Stirling ou d’Édimbourg. Sous Marie Stuart, l’analogie fut grande encore. C’étaient les mœurs de l’Italie, moins le luxe et les arts. C’étaient ses vices et sa politique tortueuse, plus l’audace et le courage militaire. L’homme d’état écossais comme l’homme d’état italien ne connaissait d’autre mobile que son intérêt. Il n’hésitait jamais à se parjurer quand ce parjure devait perdre son ennemi. Cruel de sang-froid, il ne reculait devant aucun crime utile, et ne renonçait jamais à l’occasion de se venger. Si cette occasion tardait trop à s’offrir, il savait la faire naître, eût-il dû, pour le mieux attirer dans ses piéges, envoyer à son ennemi un sauf-conduit scellé du grand sceau, eût-il dû le recevoir dans sa propre maison et le faire asseoir à sa table. Il faisait plus : comme le roi Jacques II, l’assassin de Douglas, il s’expliquait amicalement avec sa victime sur des griefs passés, il le consultait même sur ses projets à venir, et si son hôte lui répondait avec franchise que son opinion était toujours la même, et