Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/352

Cette page a été validée par deux contributeurs.
348
REVUE DES DEUX MONDES.

et des méditations sérieuses. Il avait, d’ailleurs, instinctivement l’aversion des tyrannies, même révolutionnaires, la haine des prétentions nobiliaires ou sacerdotales, un désir ardent de garanties individuelles, sans préférence marquée pour aucune forme de gouvernement, et, ce qui était plus rare alors, un dégoût très prononcé pour les institutions anglaises, dont la charte octroyée par la monarchie deux fois restaurée ne lui paraissait qu’une hypocrite et ridicule singerie.

Attaché, en 1817, à la rédaction du Censeur européen, la plus grave et la plus intelligente des publications libérales de cette époque, il s’y distingua par le mérite de ses articles et la variété des sujets qu’il y traita.

Une chose remarquable, quoiqu’au fond très naturelle, c’est que M. Thierry, qui devait être un des premiers (le premier peut-être) à lever l’étendard de la réforme historique, M. Thierry, qui devait reprocher si vivement aux disciples de l’abbé de Mably et à l’école philosophique de chercher dans le passé, non la réalité des faits, mais des preuves à l’appui de tel ou tel système, non des évènemens à ranimer par une étude sérieuse et féconde, mais des circonstance et des instrumens de guerre ; M. Thierry est entré, lui aussi, par la voie de la controverse politique dans cette carrière de l’histoire, où il a conquis un si grand nom comme peintre et comme artiste. Ému par l’imprudente provocation de M. de Montlosier, dont le long et véhément pamphlet, intitulé De la Monarchie française, eut, de 1814 à 1816, un si bruyant retentissement, M. Thierry se hâta de demander à l’histoire des armes contre ces rodomontades de l’émigration. La théorie de M. de Montlosier, qui partait des prémisses de l’abbé Dubos pour arriver à une conclusion identique à celle du comte de Boulainvilliers, cette théorie, glorification continuelle des lois, des mœurs, et surtout de la descendance de la race conquérante, poussa ce jeune publiciste dans une exagération en sens opposé. Il crut, lui, dans l’établissement des barbares et dans l’affreux désordre qui, au VIe siècle, succéda dans presque toute l’Europe à la civilisation romaine, apercevoir la cause toujours subsistante de la plupart des maux de la société moderne. Il essaya, entre autres applications de cette idée, de réduire à une suite de violences et de ruses, pratiquées par les envahisseurs normands, tous les prétendus avantages de la constitution actuelle de l’Angleterre. Dès 1817, il écrivit dans le Censeur européen un article où il développait ingénieusement cette thèse, et où il exposait avec une verve moqueuse, et, comme on dit de l’autre côté du détroit, avec humour, les diverses formes