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MADAME DE LA GUETTE.

dompter des monstres, à détruire des armées entières ou à incendier des flottes à elle seule ; elle ne s’attendait pas à dîner tous les jours dans ces palais de cristal qui se trouvent à point nommé sur les pas des chevaliers, au centre d’une forêt ou bien au fond d’un lac, et dont un vieillard à barbe blanche ou une princesse victime d’un enchantement font délicieusement les honneurs. Jacqueline avait toute sa raison. Son plan était d’entrer dans Paris, afin de rejoindre M. le prince, et de courir les mêmes chances que son mari ; mais, comme elle était bonne Française, elle pensa, chemin faisant, qu’il serait louable d’employer le pouvoir de son éloquence et de sa beauté à ramener les chefs des rebelles dans le devoir. Elle se persuada que la chose serait facile et que son pays lui devrait la conclusion de la guerre civile qui le déchirait.

Tandis qu’elle berçait dans son imagination cet honnête projet, notre amazone aperçut devant elle sur la route de Brie l’arrière-garde du duc de Lorraine. Elle demanda aussitôt à parler à quelque officier. On la conduisit devant un major de régiment. Ce major était un homme galant et civil.

— Ma belle dame, lui dit-il, si vous venez pour vous battre ou pour jouir seulement du spectacle de la guerre, vous arrivez à propos, car nous tenons en flanc les gens du roi ; le combat va leur être funeste. Il n’en échappera pas un, et nous comptons que M. de Turenne lui-même sera prisonnier.

En effet, l’armée royale, pressée entre la rivière et l’avant-garde, ayant contre elle des forces doubles des siennes, se trouvait en danger de périr. Cependant, au nom de M. de Turenne, Jacqueline éprouva la même émotion qu’elle avait ressentie à celui du prince de Condé. Celui-là était aussi un héros, et de plus il servait la cause la meilleure. Mme de La Guette fut saisie de compassion à l’idée que ce grand capitaine allait peut-être succomber sous les coups de ces Lorrains dont le jargon allemand lui fit horreur. Les sentimens de son sexe lui revinrent pour un instant ; elle résolut de sauver M. de Turenne par un stratagème féminin en demandant tout bas pardon à Dieu d’employer la ruse et le mensonge. Jacqueline était montée sur un four à chaux, d’où l’on pouvait voir au loin. Elle aperçut les enseignes de l’armée du roi, et son cœur en fut remué.

— Courez, dit-elle au major, avertir le duc de Lorraine de ma venue. Je lui apporte un avis d’importance. Qu’il m’envoie ici au plus vite une personne sûre à qui je communiquerai ce que je sais. Le sort de cette journée en dépend.