Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/255

Cette page a été validée par deux contributeurs.
251
CAPODISTRIAS.

On était en 1822. Le congrès de Vérone s’ouvrit. Les affaires de la Grèce n’y furent point traitées. On paraissait craindre de toucher cette question, à l’heureuse solution de laquelle une seule puissance, la France, s’est montrée invariablement favorable. Retiré à Genève, M. Capodistrias entretenait des relations très actives avec l’empereur Alexandre et les Hellènes ; il écrivait en faveur de ces derniers à tous les personnages éminens, sur l’esprit desquels d’anciennes relations pouvaient lui donner quelque influence, et propageait, par tous les moyens, sa réputation d’ami dévoué de la Grèce. On a avancé qu’il était resté complètement étranger aux vicissitudes gouvernementales et aux discussions de ce pays. Pour nous, nous savons de science certaine (et aucun Grec ne nous démentira) que, dès 1824, au congrès d’Astros, les agens de la Russie et le petit nombre de ceux qui s’en disaient les partisans, s’agitaient pour placer M. Capodistrias au pouvoir. M. Capodistrias, à la même époque, présidait une société secrète, formée en faveur de la Russie par lui, MM. De Stourdza et Ignatius, société qui n’est point détruite, et dont l’existence s’est révélée encore il y a quelques mois.

Aux premiers élans héroïques de la révolution, à ce brillant enthousiasme qui l’avait animée à son aurore, avait succédé une sorte de découragement. Au lieu de reconstituer l’empire, on se maintenait à grand’peine dans quelques coins de la Morée et de ce que l’on nomme aujourd’hui la Grèce orientale et occidentale. On s’était révolté trop tôt. La guerre civile, fléau inséparable de toutes les révolutions, avait augmenté les malheurs de l’armée ; la famine vint mettre le comble à l’infortune générale. L’argent, les vêtemens, le pain, tout manquait ; les chefs du gouvernement n’avaient pas un écu pour payer leurs courriers. Cependant les gouvernans d’Europe discutaient longuement si l’on parlerait de ces malheureux dans les congrès, et nombre de gens, ne se doutant pas que des hommes mourant de tous les genres de mort pour leur liberté ont droit à quelque pitié, les accusaient de piraterie et de pillage.

Les Grecs étaient des pirates ! Cela est vrai. Les bâtimens anglais et autrichiens n’avaient pas imaginé de commerce plus honnête que de fournir aux Turcs des armes et des munitions. Les Ottomans se trouvaient-ils acculés sur le bord de la mer et prêts à mettre bas les armes, aussitôt des navires européens accouraient et prenaient à bord les vaincus pour les jeter en dévastateurs sur une autre plage. Lorsque les forces égyptiennes, réunies à Alexandrie, furent sur le point de passer en Grèce, elles nolisèrent cent cinquante bâtimens autrichiens et anglais. Les Hellènes n’avaient déjà que trop d’ennemis ; le désespoir leur inspira le fameux acte qui déclarait que l’équipage de tout bâtiment porteur de troupes ou de munitions serait passé au fil de l’épée. Ce moyen eut un plein succès. Les deux tiers des bâtimens déjà nolisés se retirèrent, et Ibrahim, retenu en Égypte six mois de plus qu’il ne l’avait pensé, laissa aux Grecs le temps de se préparer à le recevoir.

Les capitaines volaient l’argent du gouvernement, disait-on ; ils demandaient la paie de deux cents hommes et n’en entretenaient que quatre-vingts. Mais