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talent, dévouement à toute épreuve, telles étaient les qualités nécessaires au chef nouveau. Deux hommes seulement parurent les réunir, M. Capodistrias et le prince Alexandre Ypsilantis. L’on résolut que celui des deux qui accepterait serait reconnu chef de la révolution.

M. Capodistrias reçut fort mal les envoyés et repoussa leur offre ; il blâma avec hauteur la résolution qu’on avait prise, et, ne voulant pas écouter les motifs qui la justifiaient, il déclara que désormais il renonçait à servir l’hétairie. Le prince Ypsilantis, moins difficile, accepta les pouvoirs dont on l’investissait, et se rendit immédiatement en Moldavie, où il commença cette campagne dont la conduite et l’issue furent si désastreuses pour la population du pays qu’il prétendait délivrer.

À la même époque, il se passait sous les murs de la forteresse de Janina un évènement singulier qui est resté inconnu et qui pouvait changer totalement l’avenir de l’insurrection grecque en rendant l’hétairie maîtresse des trésors d’Ali-Pacha.

L’armée turque qui l’assiégeait, et dont les forces montaient à cinquante-cinq ou soixante mille hommes, se composait, selon la coutume, des élémens les plus hétérogènes. Outre les contingens des provinces du centre, on y voyait des bandes albanaises dont les capitaines avaient été entraînés à combattre Ali-Pacha par des motifs de cupidité ou de vengeance, et sept cents Souliotes, gagnés par la promesse de rentrer en possession de leur territoire. La mésintelligence s’introduisit bientôt dans cette multitude. Ismaïl-Pacha, qui la commandait, retarda sous divers prétextes la cession de la forteresse de Souli, et les malheureux exilés, s’apercevant qu’on les jouait, en conçurent un vif ressentiment. De leur côté, les Arnautes, ennuyés de la longueur du siége, et toujours inconstans, se refroidissaient pour la cause qu’ils avaient embrassée. Trois des principaux hétairistes de l’Épire conçurent alors le dessein de faire coopérer le vieux despote lui-même à la délivrance de la Grèce.

Ils descendirent des hauteurs du Pinde, et se rendant au camp d’Ismaïl, sous le prétexte de se joindre à ses troupes, ils commencèrent à fomenter la discorde qui existait dans l’armée. En même temps ils entretenaient des intelligences avec la forteresse de Janina, dont la garnison était aux abois et qui accueillit avec empressement l’espoir d’une prochaine délivrance. Chaque soir, deux des hétairistes, assis dans leur tente, faisaient apporter du café, des pipes, des liqueurs, et réunissaient les capitaines albanais et tous ceux qui voulaient prendre part à leurs divertissemens ; ils passaient la meilleure partie de la nuit à boire et à voir danser des bohémiens ; pendant qu’ils occupaient ainsi l’attention, le troisième hétairiste, traversant les avant-postes déjà séduits entrait dans la forteresse, d’où il ne sortait qu’au jour. Si par hasard un indiscret venait à demander : où donc est Alexis Noutzos ? — Ne voyez vous pas, lui répondait-on, que, fatigué des plaisirs de la soirée, il se sera couché dans quelque coin ? — L’indiscret était éconduit de cette façon, et dans tout le camp on vantait la bonne humeur des trois Grecs. Ils s’étaient ainsi assurés de trois mille hommes environ ; ils avaient déterminé les Souliotes à