Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/247

Cette page a été validée par deux contributeurs.
243
CAPODISTRIAS.

souverain, et spécialement dans des discussions écrites, engagées par le plénipotentiaire anglais, des services qui n’étaient pas sans importance. Nous ne prétendons point suivre pas à pas les négociations épineuses dans lesquelles M. Capodistrias, souvent sans caractère officiel, joua un rôle considérable. Il prit part à la nouvelle organisation de l’Europe, et, lorsque Napoléon eut succombé à Waterloo, le talent du comte était un fait si bien établi, que son souverain n’hésita pas, malgré des oppositions de tous genres, à le nommer son plénipotentiaire pour les nouvelles négociations qui allaient s’ouvrir en France.

On sait comment la Russie se conduisit alors, son adroite modération, ses efforts de conciliation entre les fureurs de l’Angleterre et de la Prusse d’une part, et la France abattue et humiliée de l’autre ; M. Capodistrias suivit avec habileté la ligne que lui traçait la politique de sa cour. Cependant il est permis de croire, d’après le témoignage même de ses confidens qu’il ne blâmait pas dans son for intérieur les ressentimens des puissances. Ami de l’ordre à tout prix, il comprenait et même partageait les rancunes de l’Europe contre la nation conquérante, et il eût mieux aimé que des expiations plus dures lui eussent été infligées. Néanmoins il s’acquitta scrupuleusement de la mission que lui confiait Alexandre ; c’est lui qui, consulté par M. le duc de Richelieu qu’alarmait l’acharnement des alliés, conseilla l’envoi d’une lettre adressée par Louis XVIII au czar. On connaît cette lettre dont le ton est vigoureux et digne ; le roi s’y montrait décidé à renoncer au trône plutôt que de se rendre à des exigences infamantes pour le pays. M. Capodistrias communiqua cette pièce à la conférence, en fit ressortir la vérité et la justice, et mit fin aux menaces arrogantes de deux nations d’autant plus irritées, qu’elles s’étonnaient de leur propre salut, et se voyaient avec surprise dégagées tout à coup de l’abîme où elles roulaient quelques mois auparavant, et dont elles n’avaient pas encore secoué la terreur.

Il faut placer au nombre des actes où l’influence de M. Capodistrias fut décisive la cession du protectorat des Îles Ioniennes à l’Angleterre. La Russie, à cette époque, ne pouvait guère laisser apercevoir des vues d’agrandissement personnel ; tous ses alliés d’hier avaient les yeux sur elle ; pleins de méfiance dans ses intentions, jaloux de sa prépondérance manifeste, ils ne laissaient d’autre rôle à sa prudence que cette modération chevaleresque dont le czar avait si habilement accepté l’honneur. Le ministre russe préféra-t-il les Anglais aux Autrichiens, ou ces derniers refusèrent-ils prudemment les Sept Îles, comme ils ont déjà refusé la Bosnie ? c’est ce qu’il est difficile de démêler. Quoi qu’il en soit, la patrie de M. Capodistrias tomba sous le sceptre britannique ; il donna, en cette occasion, à lord Castlereagh toutes les instructions qui pouvaient guider les nouveaux gouvernans, et s’applaudit hautement d’avoir placé sous le patronage de la nation industrielle par excellence un peuple qui ne pouvait vivre que par le commerce ; raisonnement dont on pourrait contester la rigueur.

Peu favorable, dit-on à l’idée de la sainte-alliance, fruit des méditations d’Alexandre et de Mme de Krüdner, M. Capodistrias fut cependant élevé au