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CAPODISTRIAS.

politique du comte se trouvent réunis dans le recueil de sa Correspondance, mis au jour par sa famille et précédé d’une biographie, et dans les Mémoires sur le comte J.-A. Capodistrias, par M. André Papadopoulo-Vrétos. Il suffit de jeter les yeux sur le premier de ces ouvrages pour comprendre l’aveugle partialité qui l’a dicté. L’auteur de la biographie, M. de S., semble s’être proposé un but unique, celui de glorifier la politique russe et son représentant. Les épithètes les plus pompeuses lui sont prodiguées ; le mépris n’est point épargné à ses adversaires, et l’on glisse sans trop les analyser sur les points difficiles de sa vie. En fait de pièces politiques, le recueil même n’est pas plus satisfaisant et ne contient guère que des lettres officielles adressées aux fonctionnaires grecs ou aux agens européens ; il est à remarquer surtout que la correspondance avec les mandataires de la Russie est réduite à un nombre minime de pièces insignifiantes ; peut-être les pièces supprimées étaient-elles trop intéressantes pour qu’on les publiât. Quant aux lettres confidentielles, elles s’adressent à des personnages dont le nom seul commandait à M. Capodistrias une grande réserve. Le président de la Grèce pouvait-il confier toutes ses pensées à M. Eynard ou à d’autres philhellènes, si par hasard ces pensées étaient hostiles à l’indépendance de la Grèce ?

Le talent du biographe mérite des éloges. Ami de tous les temps de M. Capodistrias, M. de S., quand il veut ou quand il peut être sincère et explicite, donne à son récit l’empreinte intéressante de la réalité ; en général, son style a du mouvement, de la vie, de la noblesse. Il est, sous ce rapport, bien supérieur à M. Papadopopulo-Vrétos, qui ne dissimule pas sa partialité sous les artifices du langage. Le livre de M. Papadopoulo-Vrétos, qui n’a point de valeur sous le rapport de la critique historique, est beaucoup plus complet quant à ce qui touche le séjour de M. Capodistrias en Grèce. M. de S., même absent, jouissait de la confiance et de l’amitié du comte ; M. Papadopoulo-Vrétos, témoin oculaire, n’avait pas une aussi grande part dans son intimité. Cette diversité de situation a laissé des traces dans les deux livres. Le premier a passé sous silence certains faits, en a tronqué d’autres, en a laissé plusieurs dans l’obscurité ; le second ne semble pas avoir possédé le véritable sens des évènemens qu’il rapporte.

Appuyé des documents que ces ouvrages renferment, aidé de renseignemens inédits que ne possédaient pas les deux biographes, nous allons nous efforcer, à notre tour, de jeter la lumière sur cette existence si remplie et si difficile à définir.

Le Comte Jean Capodistrias est né à Corfou, en 1776, d’une famille ionienne inscrite au livre d’or. On sait que les Vénitiens, qui voulaient naturaliser dans tous les lieux de leur domination les formes aristocratiques de leur gouvernement, avaient créé dans les îles une espèce de noblesse qui possédait la suprématie et exerçait quelque influence dans le maniement des affaires.

Élevé à l’ombre du pavillon de Saint-Marc, M. Capodistrias reçut, comme ses frères Viaro, Jean, Augustin et George, l’éducation de tout noble ionien.