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DE LA PUISSANCE ANGLAISE DANS L’INDE ET EN CHINE.

raine sur ces populations désunies. Le prince régnant, jeune homme d’une intelligence bornée, se laisse gouverner par les femmes ; il a mis à mort une ministre habile, et le général distingué aux talens duquel on devait attribuer principalement la résistance prolongée des Napâlais devant les armes britanniques dans les campagnes de 1814 et 1815. Tous les hommes de quelque distinction ont été disgraciés ou exilés. Le peuple, sous cette domination inhabile et oppressive, se démoralise rapidement, et l’intervention anglaise serait peut-être accueillie comme un bienfait par la masse des habitans.

L’Afghanistan a été le théâtre d’évènemens importans depuis que Shâh-Shoudjâ, rentrant à Kaboul, sous l’escorte d’une armée anglo-indienne, est remonté sur le trône de ses pères.[1]. La fin de l’année 1840 a surtout été marquée par le renouvellement de la lutte que l’on pouvait croire terminée entre l’amîr Dost-Mohammed-Khan et le souverain dont les Anglais avaient épousé la cause. Cette lutte, dans sa courte durée, a offert quelques incidens remarquables qu’il ne sera pas sans intérêt de signaler.

Nous devons rappeler, avant tout, que le pays au nord du fleuve de Kaboul, où pénétra une des divisions de l’armée d’Alexandre, est connu aujourd’hui sous le nom de Kohéstan de Kaboul. Les Anglais ont eu à livrer plusieurs petits combats dans ces mêmes districts, où l’autorité du Shâh-Shoudjâ n’est pas encore fortement établie ; mais le véritable danger qui menaçait la restauration avait sa source dans le nord-ouest du Kohéstan, au-delà de Bâmian, à Khouloum, où le Dost (comme les Anglais dans l’Afghanistan désignent familièrement Dost-Mohammed-Khan) avait trouvé un appui dans le wali ou chef ouzbek de cette province, et rassemblé quelques milliers d’hommes, à la tête desquels il espérait pénétrer dans le Kaboul, soit par Bâmian, soit par le Kohéstan. Les négociations entamées depuis longtemps avec ce redoutable vaincu n’avaient eu pour résultat que de déterminer le nawab Djabbar-Khan, et quelques autres personnes de sa famille, à se placer sous la protection du gouverne-

  1. Shâh-Shoudjâ aura long-temps encore, aux yeux des Afghans, le tort d’être remonté sur le trône à l’aide d’une invasion étrangère. Sa position sous ce rapport est délicate et dangereuse et il nous est impossible de ne pas trouver une analogie frappante entre Louis XVIII écrivant au prince-régent qu’après Dieu il doit la couronne de France à l’intervention de l’Angleterre, et Shâh-Shoudjâ déclarant à la reine Victoria, dans le solennel et pompeux langage de l’Orient, qu’il est, « par la faveur divine et l’extrême bienveillance du gouvernement anglais, » remonté sur le trône de ses pères, et qu’il veut, par l’institution d’un ordre de chevalerie, éterniser le souvenir de ce grand évènement.