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Celui-ci se leva en apercevant le capitaine Elliot, et reçut les officiers anglais avec les salutations ordinaires en Chine ; il les engagea à passer dans les tentes voisines où il avait fait préparer un repas composé de tout ce que la saison et la cuisine chinoise pouvaient fournir de plus excellent et de plus délicat, avec abondance de confitures, gâteaux, thé, etc. Il eut ensuite une conférence avec le capitaine Elliot, M. Morrison servant d’interprète. Cette conférence dura plusieurs heures ; voici ce qui a transpiré des résultats. Le capitaine Elliot avait eu soin d’apporter un fac-simile en cire du grand sceau royal d’Angleterre, qu’il montra à Ké-shen comme preuve des pleins pouvoirs dont il était revêtu, en l’invitant à produire de son côté une preuve semblable du pouvoir qui lui avait été délégué. Ké-shen montra d’abord quelque émotion de curiosité en voyant le grand sceau de la commission britannique, mais il retomba bientôt dans cette apathie apparente que les mandarins de haut rang croient un attribut nécessaire de leur dignité ; puis il fit observer que, ne s’étant pas attendu à pareille demande, il ne pouvait en ce moment exhiber la preuve qui lui était demandée. Mais, comme le capitaine Elliot insista sur la nécessité (en cas d’une autre entrevue pour prendre des arrangemens définitifs) que chacun des plénipotentiaires se présentât muni de ce qui paraissait si essentiel pour établir leurs caractères respectifs et maintenir une parfaite intelligence entre les parties contractantes, Ké-shen n’hésita pas à admettre que la demande était parfaitement raisonnable, et promit d’y satisfaire en temps et lieu.

Entrant alors dans la question générale, il dit que le désir de l’empereur était que les choses reprissent leur cours habituel et que le commerce continuât comme par le passé, évitant surtout une guerre de laquelle il ne pouvait résulter que pertes et malheurs des deux côtés ; qu’un haut commissaire impérial (lui-même selon toute probabilité) allait être envoyé à Canton, où les Anglais seraient invités à se rendre également, et qu’ainsi tous les arrangemens et toutes les mesures nécessaires au rétablissement de la paix pourraient être pris sur les lieux mêmes qui avaient été le théâtre des évènemens causés par l’imprudente conduite de Linn ; que ce dernier avait excédé ses instructions et serait puni ou même (aurait ajouté Ké-shen) mis à la merci des Anglais. Ké-shen écouta avec la plus grande attention et le plus vif intérêt les explications qui lui furent données dans cette entrevue sur le véritable état de la question relative à l’exportation de l’argent sycee[1] ; il parut réfléchir profondément sur le fait avancé par le capitaine Elliot, qu’en conséquence du prix élevé de l’opium et de l’impossibilité d’empêcher qu’il ne se vendît le long de la côte pour de l’argent comptant, il était sorti de l’empire, dans ces derniers temps, une bien plus grande quantité de ce précieux métal que lorsque le commerce se faisait ouvertement et que l’on recevait du thé et de la soie, en échange de l’opium. Ké-shen demanda si le gouvernement britannique serait disposé, de son côté, à mettre un terme au commerce de l’opium et était en mesure de le

  1. On prononce Sa-é-ci.