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Au reste, l’urne de la pairie a peut-être, à l’heure qu’il est, décidé cette grande question, et nous n’éprouvons aucune inquiétude. Ce n’est pas la chambre des pairs, cette chambre, noble et vivante histoire de la patrie, cette chambre où la politique et la guerre comptent leurs plus illustres représentans, où des cœurs français battent sous des poitrines couvertes de cicatrices, qui pourrait, à la suite d’une discussion lumineuse qui a mis en plein jour les immenses avantages militaires et politiques du système présenté par le gouvernement, vouloir paralyser cette grande mesure nationale ; ce n’est pas la chambre des pairs qui, placée en présence de l’étranger, lui dira : Nous n’osons pas.

La chambre des députés n’a pas encore achevé la discussion du projet de loi sur la propriété littéraire. Cette discussion n’est en réalité qu’une étude. La matière n’est pas suffisamment élaborée ; les principes n’en sont pas bien arrêtés, et la discussion s’est ressentie plus d’une fois du vague des idées et de la diversité des systèmes. Trop d’orateurs n’ont fait que de la synthèse tout-à-fait arbitraire, de la pure logique, sans aller au fond des choses, sans se faire une idée nette du point qu’il s’agissait de régler. Les uns n’ont pas cessé de confondre le produit littéraire avec l’instrument producteur, et le produit préparé avec le produit doué de valeur en échange ; les autres se sont laissés égarer par le mot de propriété. Les productions littéraires, ont dit les uns, ne sont pas une propriété, et, en prononçant le mot de propriété, ils songeaient aux champs, aux maisons, à la propriété des objets matériels. De cette négation arbitraire, fondée uniquement sur une définition inexacte de la propriété, ils arrivaient à d’étranges conséquences. Les autres reconnaissaient aux auteurs la propriété de leurs productions, mais ne concevant nettement, eux aussi, selon l’habitude commune, que la propriété des choses matérielles, ils s’évertuaient à maintenir une ressemblance, une parité tout-à-fait inadmissible. De cette lutte hors du vrai terrain de la question, il ne peut sortir qu’un projet incohérent dans ses parties, un essai qui pourra seulement devenir le point de départ pour une nouvelle discussion.

La proposition Remilly, amendée et corrigée, va reparaître à la chambre des députés. Sera-t-elle prise en considération ? On dit qu’elle ne le sera pas, mais que la majorité sera très faible. Nous regretterions peu ce vote négatif ; nous en serions même satisfaits, si le gouvernement voulait prendre en sérieuse considération la marche des affaires, l’état des esprits, et, disons-le, sa propre situation.

Le pays repousse, nous le croyons, tout essai aventureux, toute réforme pouvant jeter la perturbation dans nos institutions politiques. C’est là un fait, nous le reconnaissons, que toute administration doit avouer et respecter. Mais est-il vrai, d’un autre côté, que le pays ne désire qu’une immobilité parfaite, absolue ? Lorsqu’il a dit qu’il y avait quelque chose à faire, le ministère du 12 mai a-t-il rêvé ? Les opinions de M. Dufaure et de ses amis sont-elles décidément des opinions excentriques et qui ne méritent aucune considération ? Et lorsque M. Duchâtel a déclaré à la tribune qu’il n’était pas éloigné