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il est naturel que la distribution tende à se faire plutôt d’après les besoins des personnes que d’après le mérite des ouvrages, et que les moins habiles, par conséquent, soient précisément les plus encouragés, parce qu’ils sont les plus malheureux. Nous voyons donc se produire ici les inconvéniens du système protecteur[1].

Telle est, si nous ne nous trompons infiniment, la situation de l’art et des artistes à notre époque, et telle est la véritable origine et la signification de nos expositions périodiques que nous appelons des salons.

Cette situation n’est pas satisfaisante ; mais, comme elle n’est imputable à personne, il faut se borner à la constater historiquement. Nos conclusions seront donc tout-à-fait pacifiques et conservatrices. L’organisation actuelle de l’art n’étant que le résultat et non la cause de sa décadence en général, ce serait une grande illusion d’imaginer qu’on regagnerait ce qu’on a perdu en supprimant ce qui existe. Ôtez le salon et tout ce qui s’y rattache, et à l’instant tout mouvement est anéanti dans les hautes régions de l’art. C’en est fait de la haute peinture historique et de la statuaire. Regrettons, déplorons que l’art ait besoin d’être protégé, mais ne nous plaignons pas de la protection même, car la protection est en soi un grand fait. Félicitons-nous plutôt de voir cette protection, si indécise et si faible ailleurs, prendre en France le caractère et l’importance d’un devoir public, et figurer en tête des priviléges et prérogatives honorifiques de la couronne et du gouvernement. En France, les droits de l’esprit ont toujours été les premiers ; c’est de l’esprit que relève notre influence universelle. Nous sommes la nation littéraire par excellence, et le goût de l’art est chez nous un reflet du goût des lettres ; ce n’est ni une passion ni un culte, mais une heureuse disposition de l’esprit tournée en habitude ; nous n’adorons plus l’art, mais nous le fêtons encore. C’est une

  1. Comme pièce à l’appui, nous, joindrons ici quelques détails statistiques. Sur 108 tableaux plus ou moins dignes de l’épithète d’historiques, 54, c’est-à-dire la moitié, sont déjà achetés par la liste civile, les ministres ou la ville de Paris. Parmi les 54 restans, un bon nombre, le tiers peut-être, n’ont été entrepris que sur des espérances équivalentes à des promesses. Parmi les 40 autres, il est remarquable que la plupart sont des sujets de piété qui ne conviennent qu’à des églises, et en conséquence se recommandent directement à l’attention du ministre de l’intérieur. Ceux enfin qui paraissent ne pouvoir pas compter sur les caisses publiques n’offrent guère que des toiles de très petite dimension et des sujets anecdotiques. Ce sont de vrais tableaux de genre. Ajoutons que sur 2,000 ouvrages de peinture il y a 500 portraits (un quart du tout), sans compter les miniatures, qui porteraient ce nombre à 600 au moins.