Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/155

Cette page a été validée par deux contributeurs.
151
LA HOLLANDE.

les terreurs qu’elles éprouvaient parfois en entendant, dans les longues nuits d’hiver, le fracas des flots impétueux qui se brisaient au pied de leur demeure, comme au pied d’un navire. Leur père vantait, et à juste titre, le génie, la persévérance des Hollandais qui ne se lassaient pas de lutter contre l’Océan, et le marchand peignait sans s’en douter, en style poétique la beauté sereine des mers du sud, la phosphorescence des vagues dorées par le soleil, et la tiède haleine des vents alisés. Puis il se mit à parler des croyances superstitieuses des marins hollandais, et je l’écoutai avec un surcroît d’attention : — On ne saurait se figurer, nous disait-il, jusqu’où va la crédulité traditionnelle et l’esprit subtil, rêveur et souvent poétique, de ces bonnes gens, qui ont l’apparence si matérielle. Les physiciens nous donnent, Dieu sait, chaque année et chaque jour assez d’explications sur l’influence des saisons, le mouvement des vents, la force des courans ; mais le matelot ne veut point entendre parler de tous ces calculs de la science. Il a sa science à lui, la science que ses anciens camarades lui ont enseignée dans les causeries du soir sur le gaillard d’avant, ou dans les heures de repos passées à la taverne. « — Bah ! me disait une fois l’un d’entre eux ; à la suite d’un violent orage, avec vos vents d’équinoxe, tout cela est bel et bon, il n’en est pas moins vrai que, si chacun de nous avait bien payé ses dettes en partant, nous ne serions pas là à bourlinguer sur cette vilaine mer, comme nous le faisons depuis huit jours. — Et c’est ainsi qu’ils expliquent la plupart des phénomènes dont leur intelligence ne comprend pas la cause ; ils attribuent les retards qu’ils éprouvent, les heures de calme et de tempête, les vents contraires, non-seulement à la présence de certain passager qui aura sur la conscience quelque péché trop gros à porter, mais à des objets inanimés, à un meuble nouveau, à un bout de câble, à une voile, quelquefois à un trait de la physionomie, à une barbe, à un regard de travers. Ils ont la superstition des joueurs, et de plus ils croient à je ne sais quelles puissances mystérieuses, tantôt funestes et tantôt bienfaisantes, à des expiations forcées, à des apparitions merveilleuses. Par exemple, ajouta le marchand en se tournant de mon côté, vous avez bien entendu parler du grand voltigeur hollandais ? — Oui, sans doute, répondis-je ; mais je ne l’ai jamais vu ; ni vous non plus, je suppose ? — Non ; et pourtant, je vous avoue que je me suis demandé plus d’une fois sérieusement si ce que ma raison s’obstinait à ne considérer que comme un conte grossier, n’était pas une terrible réalité, tant je connais d’honnêtes marins qui en parlent comme d’un fait avéré ; et la gravité