Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 26.djvu/152

Cette page a été validée par deux contributeurs.
148
REVUE DES DEUX MONDES.

garnie de canons, serait encore, en cas d’attaque, un rempart redoutable. Cette digue a près de deux lieues de longueur. Elle s’élève à quarante pieds au-dessus du niveau de la mer, et descend deux cents pieds de profondeur dans les vagues, sous un angle de quarante degrés. Elle est construite tout entière avec des blocs de pierre arrachés aux montagnes de la Norvége ; soutenue à sa base par des quartiers de roc, couverte de terre et de gazon à sa sommité, elle sert de route aux charrettes et de promenade aux bons bourgeois. C’est certainement l’une des œuvres les plus colossales, les plus admirables du génie moderne. Quand on mesure du regard l’étendue et la profondeur de cette muraille de roc, il semble que les habitans de la Noord-Holland doivent n’avoir désormais plus rien à redouter des inondations, et cependant bien peu d’années se passent sans jeter dans leurs cœurs le doute sinistre et l’épouvante. La vague impétueuse, infatigable, monte, grossit sans cesse, et sans cesse vient se briser contre la barrière qui l’arrête. Plus le rempart est ferme, et plus elle semble inflexible dans sa colère, implacable dans ses efforts. Dieu lui a jeté sur certaines rives un grain de sable pour limite ; mais quand l’homme entasse pierre sur pierre, et vient aussi lui dire : Tu n’iras pas plus loin ; on dirait que l’élément terrible s’indigne à cette voix d’esclave qui parodie la voix du maître, et alors la mer s’élance de toute sa hauteur, et retombe de tout son poids contre l’édifice de l’homme.

Assis au bord du chemin, sur l’un des points les plus levés de la digue du Helder, je ne me lassais pas de voir cette grande mer du Nord, cette mer qui déjà m’avait emporté au loin et qui semblait encore m’appeler. C’était le soir. À la lueur mobile de la lune, qui tantôt se montrait dans tout son éclat, et tantôt disparaissait sous un nuage, je distinguais d’un côté la grève sablonneuse du Texel, de l’autre des collines arides parsemées çà et là de quelques joncs, traversées seulement par le sentier solitaire du pêcheur, et dans le lointain l’onde immense qui touche à la fois aux froides plages du Nord et aux rives embaumées de l’Orient. Je promenais tour à tour mes regards d’un point à un autre, d’un navire qui voguait dans l’espace à une barque qui rentrait au port, et alors je me sentais de nouveau saisi par cette magie des flots que les anciens personnifiaient dans les sirènes, et je me disais avec je ne sais quel vague désir mêlé de tristesse : Oh ! oui, quiconque s’est une fois livré à tes caprices, ô mer terrible et charmante, voudra s’y livrer toujours ! et quiconque du haut d’un navire, a dans ses rêveries prêté l’oreille à ton mur-