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LA DIVINE ÉPOPÉE.

qu’au ciel pour l’arracher du sein de la béatitude, et la faire monter à côté de lui sur le trône brûlant des enfers. — Souvent, le front pensif, il va relire les trois tables d’airain où est écrite en caractères cabalistiques l’histoire de son ame et de son esprit ; c’est tout ce qu’il a emporté d’humain au fond de son ténébreux royaume, et la trace de l’existence du monde ne vit plus que sur ces tablettes mystérieuses. Pour distraire sa mélancolie, Idaméel ordonne une fête, une orgie infernale qui doit dépasser tout ce qu’ont produit de plus violent les énormités cyclopéennes, les vertiges des Lylacq et les monstruosités de Gomorrhe, les raffinemens de Sardanapale et les tigreries de Néron ; tout l’enfer se réveille et se rue aux bacchanales titaniques ; les sphinx sournois, les psylles au vol sifflant, les brucolaques infects, les vampires vermeils, les hydres vertes de poison, les briarées aux bras de polype, les chimères aux ailes onglées, les incubes obscènes, les harpies fétides, les mammouths, les dugongs, le dinotherium giganthœum, toutes les formes hideuses et fourmillantes qu’ébauche le cauchemar sur la toile noire de la nuit, se dirigent vers la salle du banquet en toute hâte. Cela rampe, cela vole, cela se culbute dans un pêle-mêle inimaginable, comme dans le Walpurgisnachtstourm de Goethe.

Après ce repas qui laisse bien loin en arrière les magnificences de Balthazar, les princes des damnés se racontent leurs bonnes fortunes et leurs exploits sur un ton de rouerie et de fatuité supérieures. Celui-là a vendu son ame pour séduire une religieuse, ajoutant à la passion le raffinement du sacrilége ; Néron prend la parole à son tour, et raconte en vers très beaux, que l’on peut ranger parmi les meilleurs et les plus irréprochables du poème, ce célèbre festin où les convives furent enterrés sous une pluie de fleurs. Don Juan explique sa dernière aventure : ce n’est pas, comme on l’a cru jusqu’ici, le commandeur aux talons tonnans, le spectre au poignet de marbre qui l’a fait plonger vivant dans les flammes bleues de l’enfer ; son trépas ne fut qu’un dernier rendez-vous avec une duchesse Esmeralflor de Grenade, morte voluptueuse à qui Satan rend pour une heure la vie et la beauté.

Ces histoires ne manquent pas de saveur ; cependant le sphinx les trouve fades, et voudrait quelque chose d’un goût plus relevé. — Maître, dit-il à Idaméel, absolument comme un jeune poète au génie d’une soirée littéraire, tu devrais bien nous lire quelque chose.

Idaméel, qui n’est point un grimaud, ne donne pas dans le piége vulgaire de débiter sa poésie lui-même ; il envoie trois cents filles de