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nut avec autant d’étonnement que de douleur la voiture du duc de la Victoire : elle n’avait jamais pu croire qu’il irait aussi loin.

Il n’était plus temps pour les ministres de songer à sortir du palais. Toutes les avenues étaient entourées. La reine les conduisit elle-même dans sa chambre à coucher et les y laissa pour aller recevoir la visite qui lui arrivait à pareille heure et avec de pareils préliminaires. Bientôt se présenta Espartero, accompagné de sa femme, la duchesse de la Victoire, et des généraux Valdès et Van-Halen. Tous quatre s’empressèrent à l’envi d’assurer la reine qu’elle n’avait rien à craindre ; que cette explosion populaire, provoquée par l’obstination des ministres, n’aurait aucune suite funeste ; qu’eux-mêmes n’étaient accourus aux premiers cris de l’émeute que pour venir en aide à sa majesté et la défendre à tout évènement. La reine accueillit ces démonstrations avec une froide réserve. Elle dit à Espartero que les ministres lui ayant donné leur démission, elle se voyait bien forcée de céder sur ce point ; mais elle persista dans son refus de révoquer la sanction donnée et de dissoudre les cortès. Aucune insistance ne put la fléchir, et cependant le tumulte continuait au dehors.

Vers trois heures du matin, Espartero sortit à pied, et alla annoncer aux groupes que les ministres se retiraient. Les rassemblemens se dispersèrent alors avec des cris de triomphe. À quatre heures du matin, le duc et la duchesse de la Victoire, les généraux Van-Halen et Valdès sortirent de chez la reine. Dès qu’on se fut bien assuré qu’il ne restait plus personne autour du palais, la reine laissa partir ses ministres. M. Perez de Castro, le plus menacé, se réfugia chez le consul de France, M. Gauthier d’Arc, et de là sur le Méléagre, bâtiment français qui se trouvait en rade ; le comte de Cléonard, ministre de la guerre, sur la frégate espagnole Cortès, dont l’équipage était dévoué à la reine. Tous deux partirent pour la France le lendemain. L’émeute ne fit d’autres victimes que quelques gendarmes qui furent surpris seuls et massacrés.

Ainsi s’est passée cette fatale nuit du 18 au 19 juillet. La conduite d’Espartero n’a eu qu’un mobile dans ces évènemens, la haine des ministres qui l’avaient bravé. Les exaltés ont exploité ce sentiment mesquin, pour se faire du généralissime un instrument dans leurs desseins contre la reine, et il a suivi aveuglément l’impulsion qu’ils lui ont donnée jusqu’au moment où sa passion a été satisfaite. Depuis il a voulu s’arrêter. Le ministère qui a été désigné par lui-même, après sa victoire nocturne, a sans doute plus de rapports avec les exaltés qu’avec les modérés ; mais il est loin d’avoir été choisi parmi