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mais il conviendrait, ce semble, de choisir de préférence les romans de mœurs ; on trouverait là, sans aucun doute, plus d’originalité, car dans le roman historique, en Hollande comme en France, il y a toujours le souvenir du maître, et Walter Scott est partout, moins le génie, dans la Rose de Dékama et dans le Vicomte de Beziers.


L’exilé, traduit du grec moderne d’Alexandre Soutzos, par M. J. Lennel[1]. — Ce roman est, avant tout, une œuvre politique, inspirée par la haine profonde de Capo-d’Istria. Le principal personnage, mystérieux inconnu désigné vaguement sous le nom de l’Exilé, a été forcé de quitter Nauplie à la suite d’une conspiration qui tendait à changer la forme du gouvernement. L’amour de la patrie, de la liberté ont exalté son esprit jusqu’aux derniers dévouemens, et jusqu’au crime même ; la proscription l’irrite encore, et une passion malheureuse ajoute une nouvelle et profonde douleur à ses misères déjà si vives. Il aime jusqu’au délire Aspasie, la fille de l’un des plus ardens partisans de Capo-d’Istria. Aspasie le paie de retour ; mais, comme toujours, l’intérêt, la politique, font obstacle à leur union. Après bien des aventures, souvent fort insignifiantes, mais qui gardent cependant, par le détail des mœurs grecques, un certain charme, l’exilé est jeté dans les prisons de Vourzi ; là, il retrouve, dans la fille du gouverneur de la forteresse, la femme qu’il aime, sa belle Aspasie. Douloureuse rencontre ! une cour martiale, espèce d’aréopage improvisé pour condamner, prononce contre lui un arrêt de mort. Le père d’Aspasie veut marier sa fille à l’un des amis les plus dévoués de Capo-d’Istria, et l’on assiste en même temps aux apprêts d’un supplice et d’une noce. Mais Aspasie est prévenue de la présence de son amant, et elle parvient à le faire échapper. L’exilé, devenu libre, se sauve dans les montagnes pour organiser l’insurrection ; mais un jour il rencontre, au milieu d’un chemin, son rival Auguerinopoulos, celui-là même qui devait épouser Aspasie. À cette vue, toutes les fureurs de l’amour, toutes les haines politiques se réveillent en lui : « Prends tes pistolets, dit-il à Auguerinopoulos, et place-toi à dix pas. » Le duel est accepté. Auguerinopoulos tombe, la jambe cassée par une balle, et l’exilé continue tranquillement sa route, sans plus se soucier de ce que deviendra son ennemi. Mais Auguerinopoulos est recueilli par des paysans, et sa première pensée est la vengeance. Il charge un Albanais d’assassiner l’exilé, qui n’échappe que par une espèce de fatalité merveilleuse, et, non content de cette première tentative de crime, il fait empoisonner Aspasie, qui meurt dans les plus cruelles douleurs. Désespéré de cette mort, l’exilé fuit le commerce des hommes, et depuis lors il mène une vie errante dans les montagnes, dévoué, comme l’eût dit la Grèce antique, à toutes les furies.

Ce roman offre, dans son ensemble, un singulier mélange de réminiscences classiques, de déclamations contre les tyrans, de tirades sentimentales sur

  1. Un volume in-8o, chez Pougin, quai des Augustins.