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retour, assez vaguement indiqué d’ailleurs, au catholicisme. Une telle série de faits, dont un seul a fourni à Shakespeare les élémens d’un de ses plus beaux drames, ne pouvait évidemment être développée d’une manière satisfaisante dans les limites étroites que comporte une représentation dramatique. Aussi, Calderon n’en a-t-il tiré qu’une ébauche assez grossière et remarquable seulement sous le rapport historique, parce qu’elle donne une idée de l’opinion qu’on se formait à Madrid sur la révolution encore bien récente qui avait changé la religion de l’Angleterre. Ce qui est vraiment curieux, c’est que Calderon, en rejetant sur l’ambition et l’orgueil de Wolsey et d’Anne Boulen tout l’odieux de cette révolution, fait de Henri VIII un assez bon homme, un peu vif, un peu crédule, mais prompt à revenir, facile au repentir ; et dont un conseiller perfide ne réussit qu’à grand’peine à vaincre un moment la profonde vénération pour le pape, qu’il appelle un vice-Dieu, un Dieu même, cloué sur la terre de la toute-puissance.

L’intérêt de cette pièce se concentre sur la reine Catherine, douce, tendre, résignée, généreuse, et particulièrement sur sa fille, celle qui épousa depuis Philippe II, qui porta sur le trône un zèle si outré pour le catholicisme, et que les Anglais ont flétrie du nom de la sanglante Marie. Un tel personnage devait plaire à Calderon. Le caractère qu’il lui prête est d’une bizarrerie bien caractéristique, et amène un dénouement aussi singulier qu’inattendu.

Le roi a ordonné la mort d’Anne Boulen, qu’il a surprise dans un entretien secret avec un ancien amant. L’illusion passionnée qui l’a entraîné à commettre tant d’erreurs est complètement dissipée, et il est sur le point de rappeler auprès de lui la reine Catherine, lorsque la princesse Marie, vêtue de deuil, vient lui annoncer que sa malheureuse mère a succombé à ses chagrins. En apprenant cette douloureuse nouvelle, Henri s’abandonne à l’expression de ses remords et de ses regrets ; il prie celle dont il a causé les souffrances et la mort d’intercéder pour lui auprès de la Divinité ; il témoigne le désir de réparer le mal qu’il a fait à la religion. Dès ce moment même, afin d’assurer à la fille de Catherine la succession au trône, il veut que le parlement soit convoqué pour la reconnaître en qualité d’héritière et lui prêter serment. Vainement Marie le conjure de laisser quelques instans à sa douleur. Il faut que la volonté du roi s’accomplisse sans délai.

Le parlement est réuni. Le roi et la princesse sont assis sur un trône, et à leurs pieds est le cadavre d’Anne Boulen, recouvert d’un voile, que le roi fait enlever en présence du public. Ici commence une scène étrange.


Marie. — Votre majesté m’a dignement vengée, puisqu’elle a mis à mes pieds celle qui voulait s’élever au-dessus de ma tête. Cet heureux commencement m’annonce, j’ose l’espérer, un avenir aussi glorieux que fortuné.

Un capitaine des gardes. — Le très chrétien Henri, ce monarque si grand, que la couronne d’Angleterre, malgré l’éclat dont elle brille, est au-dessous de son mérite, pour dissiper l’erreur du vulgaire ignorant qui pourrait croire que la reine Catherine n’était pas sa légitime épouse, veut que son