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critique[1], « est la colonne demi-obscure et demi-lumineuse qui guide la caravane humaine dans les déserts de l’intelligence ; » nous ajouterons : et dans les défilés escarpés et tortueux de la civilisation. C’est en vain que médisent de l’imagination ceux qui n’en ont que pour nouer d’égoïstes intrigues. De tous les trésors dont dispose la Providence, c’est le plus précieux peut-être et le plus éclatant à coup sûr ; mais aussi c’est le plus lourd à porter, celui qui fait trébucher le plus infailliblement les mandataires à qui Dieu avait fait la grace de le confier, s’ils cessent d’être sur leurs gardes, si leur esprit s’endort, si leurs généreuses sympathies s’amollissent. C’est celui qui attire les traits les plus acérés de l’envie, qui lui fait distiller ses poisons les plus subtils. C’est celui que par instans la foule se plaît le plus à outrager. Nul autre n’a produit pour le genre humain, par l’intermédiaire des hommes d’élite qui l’ont eu en partage, autant de gloire et de bonheur, et pour eux-mêmes autant de souffrances et d’angoisses ; car cette flamme qu’ils ont au front et dont le vulgaire ne peut leur pardonner l’éclat, ne la leur enviez pas : elle est l’indice d’un feu intérieur qui les dévore !

Si Colomb fût parti pour découvrir un nouveau continent dont aucun indice ne révélait l’existence aux peuples chez lesquels il avait passé sa laborieuse vie[2], il n’eût été qu’un heureux aventurier. Colomb poursuivait, avec une persévérance qu’on ne saurait trop admirer, une confiance qui émeut, une vigueur qui, dans l’antiquité, l’aurait fait classer parmi les demi-dieux, une pensée qui lui apparais-

  1. M. Magnin, Revue des Deux Mondes du 1er juin 1840, pag. 737.
  2. Il est incontestable aujourd’hui que d’autres Européens avaient vu et touché l’Amérique avant Colomb. Des le Xe siècle, des aventuriers scandinaves avaient été poussés par les vents, par l’amour du péril, par l’esprit de conquête, dans le Groënland, qui appartient au nouveau continent, et que M. de Humboldt appelle la Scandinavie insulaire de l’Amérique. La distance du Groënland au nord de l’Écosse n’est que de 269 lieues marines de 15 au degré ; par un vent frais de nord-ouest, ce serait un voyage de quatre jours. Les expéditions des missionnaires se joignant à celles des guerriers, plusieurs établissemens furent fondés dans le Groënland ; l’Islande servait de station intermédiaire pour s’y rendre. De là, en 985, l’islandais Biarn Herjolfson, qui allait dans le Groënland rejoindre son père, fut chassé, par un vent violent de nord-est, sur le continent américain. De retour chez son père, Biarn exécuta avec quelques compagnons une expédition lointaine, dans laquelle ils touchèrent, l’an 1001 ou 1005, successivement dans diverses parties de l’Amérique du Nord, qu’ils appelèrent Hallyland, Markland et Vinland. Ce dernier pays fut ainsi nommé à cause de l’abondance des raisins sauvages qui s’y trouvèrent. En examinant attentivement les indications de la