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tous sur ce navire qui portait une plus imposante fortune que celle de César. Et c’est ainsi qu’il vit le premier la terre, et gagna, outre la vice-royauté et l’amiralat, la pension de trente couronnes[1] promise par les souverains à celui qui l’apercevrait.

Il se croyait guidé par la main de la Providence ; mais ce n’était point de cette foi aveugle, sœur d’un fatalisme hébété qui s’en remet à Dieu pour toute chose et croit hors de propos de prévoir. Il avait songé à tout, il savait parer à tout, et il montra dans l’affaire de l’éclipse à quel point il était fécond en expédiens et comment il savait les manier.

Colomb était nourri d’une théologie scolastique, et cependant très apte au maniement des affaires. Il était instruit autant qu’on pouvait l’être alors, quoique, en géométrie, il associât volontiers la vérité et l’erreur. On le regardait en Espagne comme « gran teorico y mirabilmente platico. » M. de Humboldt, à qui personne ne contestera le droit de prononcer des arrêts pour tout ce qui est du domaine des sciences naturelles, admire « la pénétration et la finesse extrêmes avec lesquelles il saisissait les phénomènes du monde extérieur. » « Colomb, ajoute-t-il, est aussi remarquable comme observateur de la nature, que comme intrépide navigateur. » Suivant cette autorité illustre, la découverte importante de la déclinaison magnétique et celle plus difficile encore des variations que subit cette déclinaison quand on passe d’un lieu à un autre, lui appartiennent[2] à n’en pas douter, et il en tira des déductions hardies d’une grande portée et d’une exactitude parfaite. Il connaissait avant Pigafetta le moyen de trouver la longitude par les différences d’ascension droite des astres[3].

  1. Ou 39 piastres d’or, équivalant à 117 piastres (624 francs) de nos jours.
  2. Colomb fut au moins le premier Européen, qui s’aperçut de cette déclinaison, la constata et l’étudia ; car, comme renseignement sur la Chine à l’appui de ce que nous avons dit, il n’est peut-être pas inopportun de rappeler ici que, quatre siècles au moins avant Colomb, les Chinois avaient découvert de leur côté la déclinaison de l’aiguille aimantée, c’est-à-dire sa déviation de la direction du pôle terrestre. Les belles recherches que M. Klaproth a faites à la demande de M. de Humboldt ont parfaitement établi ce point de l’histoire des sciences. Les termes de l’auteur chinois, cité par M. Klaproth, indiquent même la connaissance des variations de cette déclinaison.
  3. voici un extrait de l’Histoire de la Géographie du nouveau continent, qui donnera une idée des titres scientifiques de Colomb :

    « Arrivé sous un nouveau ciel et dans un monde nouveau, ainsi qu’il l’écrit à la nourrice de l’infant don Juan, la configuration des terres, l’aspect de la végétation, les mœurs des animaux, la distribution de la chaleur, selon l’influence de la longi-