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prétendit que l’irritation n’était pas l’origine de tous les troubles organiques ; on soutint avec Bichat que l’état maladif, loin d’être l’exagération de l’état sain, avait pour cause des phénomènes d’une nature opposée à celle des phénomènes réguliers, qui différaient d’eux non par la quantité, comme le voulait M. Broussais, mais par la qualité ; on ne s’expliqua point comment l’irritation, qui resserrait la fibre en la contractant, pouvait provoquer dans son tissu, sous un espace devenu plus étroit, une plus grande masse de liquides et faire produire à la contraction les effets de la dilatation ; on ne comprit pas mieux comment la fibre irritée, tantôt conservait ces liquides accumulés pour les livrer à la décomposition inflammatoire, tantôt leur ouvrait passage par l’hémorragie, ayant ainsi la propriété contradictoire de les retenir et de les expulser. On fut encore plus éloigné de reconnaître que l’irritabilité visible et mécanique de la fibre musculaire pût être confondue, ainsi que le faisait M. Broussais, avec la sensibilité des nerfs dont le tissu était immobile, et dont les opérations plus délicates et en quelque sorte spirituelles s’exécutaient en vertu de lois d’un ordre moins matériel et moins facile encore à saisir. Si l’irritation maladive d’un organe était transportée sur un autre par l’influence des sympathies nerveuses, ainsi que l’enseignait M. Broussais, on se demanda pourquoi, dans le traitement par la révulsion, les nerfs n’augmentaient pas l’irritation dans la partie déjà enflammée, au lieu de l’affaiblir.

Enfin, tout en reconnaissant que M. Broussais avait saisi l’une des causes les plus générales des maladies, l’inflammation dont il avait signalé la marche dans les divers tissus ; qu’il avait rattaché les maladies chroniques aux maladies aiguës, et plus fortement ramené que personne les maladies aiguës aux organes qui en étaient le siége ; qu’en les localisant ainsi, il avait rendu leur diagnostic plus sûr et leur traitement plus régulier ; qu’il avait appelé l’attention sur l’importance et les troubles de l’appareil digestif, avant lui mal exploré et peu ménagé ; qu’il avait introduit plus de tempérance dans les habitudes et, sous ce rapport, perfectionné l’hygiène publique ; qu’enfin il avait enrichi de quelques vérités utiles la pratique générale qui s’avance toujours, grossie de ce qu’il y a de fondé dans les divers systèmes ; on crut néanmoins que la nature était plus compliquée dans ses procédés et dans ses désordres que ne l’avait imaginé M. Broussais, et qu’il n’y avait ni une seule opération organique, ni un seul genre de maladies, ni un seul mode de traitement.

M. Broussais avait été un peu trop exclusif. Mais s’il s’était trompé en