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se risquer que dans ces immenses épopées de l’Inde, qui suffiraient à toute une existence d’érudit. Il ne faut aborder rien moins que la Bible et la nature, et, puisque la fable a aussi sa part, qu’Ariane nous prête son fil sauveur pour nous tirer vite de ce labyrinthe. Tout cela sans nul doute se distingue des tirades descriptives ou épiques d’Esménard et du bon M. Parseval ; mais l’originalité ici ne sauve pas l’ennui, et l’ennui c’est le tombeau des poèmes.

Laissons d’abord de côté les Vers dorés de Pythagore, les Trois fanatiques et les Hérologues, courtes bluettes que je ne rappelle que pour mémoire. Les Âges français méritent plutôt un souvenir, parce qu’un rapide sentiment lyrique y anime le tableau des grandes révolutions de notre histoire, et que l’auteur a tâché d’introduire dans le rhythme de nos poèmes ce mètre court et rapide dont l’Italie avait le secret, et que naguère nous ne réservions qu’à l’ode. Avec M. Lemercier, les transitions ne sont pas faciles : d’un dithyrambe on passe à une plaisanterie bouffonne. Il y a des stances spirituelles dans la Mérovéide ; mais, au sortir des éblouissantes féeries de l’Arioste, on n’est pas tenté de lire, et on n’a pas lu ce long post-scriptum sur Attila.

La tragédie du Lévite d’Ephraïm avait donné occasion à M. Lemercier de goûter la poésie des livres saints. Cela n’était pas inconciliable avec les idées du XVIIIe siècle. Roucher, en effet, traduisait les psaumes, et André Chénier songeait à une petite épopée de Suzanne. Moïse fut donc pour l’auteur d’Agamemnon un de ses premiers sujets de poème, comme il inspira à Châteaubriand son unique tragédie. La Terreur proscrivait toute maxime pieuse et morale : M. Lemercier ne put publier son livre ; l’époque du concordat ne lui parut pas plus favorable par une raison toute contraire, et il ne donna Moïse que sous la restauration. C’était se tromper de date, car, après le Génie du Christianisme et les poésies bibliques de Lamartine, cette inspiration religieuse, à laquelle avait applaudi Volney, était de beaucoup dépassée, et, sous le déguisement de l’art, on entrevoyait trop le philosophe qui trouvait là avant tout une veine de merveilleux féconde encore. Aussi, malgré des vers colorés et quelques belles pages, cette œuvre n’a pas dû prendre rang.

Un grand poème sur la nature fut le premier rêve de la jeunesse de M. Lemercier, et, comme le plan en avait été vingt fois fait et refait, il devint sous l’empire son travail de prédilection. L’amitié intime qui liait le poète à plusieurs savans l’engagea de plus en plus dans cette œuvre, et, en son désir d’innovations à tout prix, il voulut, après s’être assimilé leurs beautés de style, traduire, le génie