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DE LA MISE EN SCÈNE CHEZ LES ANCIENS.

L’habileté de l’acteur et les dispositions de l’auditoire firent de cette tragédie une perpétuelle allusion à l’exilé de Macédoine. Esopus même, pour accroître l’émotion, ne craignit pas d’insérer dans cette tragédie quelques vers d’un de ses autres rôles, de l’Andromaque d’Ennius, et d’ajouter, dans la chaleur de son zèle, quelques mots d’une application directe à Cicéron.

Pendant les mêmes jeux, malgré la loi qui défendait de nommer aucun citoyen vivant sur la scène, le même acteur, jouant le Brutus d’Accius, substitua le nom de Tullius à celui de Junius, et s’écria : « Tullius, qui as consolidé la liberté de Rome ! » Hardiesse qui fut absoute par des applaudissemens universels. Or, de telles intercalations et de telles variantes me semblent incompatibles avec un texte arrêté à l’avance et revêtu de l’inflexible visa d’un censeur.

Mais s’il est douteux que la censure théâtrale ait été en usage à Rome à la fin de la république, je crois du moins très vraisemblable qu’elle fut essayée sous Auguste. Ce prince, qui usa modérément de la loi de lèse-majesté, dut trouver utile d’investir d’une juridiction politique le comité littéraire, qui siégeait au temple des Muses. Alors peut-être, mais seulement alors, Spurius Metius Tarpa reçut les pouvoirs de censeur dramatique et les exerça sous l’autorité des préteurs. Je m’affermis dans cette opinion en me rappelant qu’Auguste, qui n’aimait que les louanges fines et bien apprêtées, recommanda aux préteurs de ne pas laisser prostituer son nom dans les concours de poésie[1]. Or, cette recommandation suppose un examen préalable, fait dans un autre but que l’intérêt littéraire, en un mot, la censure.

D’ailleurs, cette institution, propre à la monarchie, ne fut pas à Rome de longue durée, et cela pour plusieurs causes. La première, c’est que la plupart des ouvrages dramatiques qu’on joua sous l’empire, furent des mimes et des atellanes, c’est-à-dire des pièces en partie improvisées et qui échappaient, par cela même, à l’examen ; la seconde, c’est que la répression sanglante que presque tous les empereurs infligèrent aux délits du théâtre, était d’un effet plus sûr, mieux en harmonie avec leur caractère et avec la nature du gouvernement despotique.

Ce serait une bien triste tâche que celle de dresser la liste de tous les châtimens qui furent appliqués sous l’empire aux poètes et aux comédiens. Je ne citerai que quelques faits pris au hasard. Un

  1. Sueton., Octav., cap. LXXXIX.