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Il y a, mon très cher monsieur, trois choses auxquelles je ne crois pas pour le moment : ce sont l’invasion de la Turquie par une armée égyptienne, l’invasion de Constantinople par une armée russe, et je n’ai pas besoin d’ajouter l’invasion de l’Égypte par une armée anglaise ou même française, ce dont je vous demande bien pardon. J’ai lu la dernière appréciation que vous avez faite de la situation des puissances européennes, en Orient ; elle m’a paru juste, surtout en ce que vous montrez combien le statu quo est nécessaire à toutes les puissances, et j’approuve particulièrement la confiance avec laquelle vous annoncez qu’il ne sera pas troublé. C’est aussi l’avis de quelques hommes fort sensés, en Angleterre, qui veulent que notre gouvernement prenne ses mesures, comme vous voulez que le vôtre prenne les siennes de son côté ; mais qui estiment que l’état de choses actuel durera encore long-temps. Je vous montrerai tout à l’heure que nous pourrions bien avoir deux ans devant nous, un peu moins peut-être, mais, selon toute apparence, rien de plus. Vous voyez que vous avez le loisir de vous préparer à la conquête de l’Égypte, si vous comptez nous la disputer, en cas d’évènement. Deux ans ! Bonaparte n’y mit que quelques mois, — et nous la lui reprîmes en aussi peu de temps.

J’entends parler, depuis quelques jours, de la vigueur que la France veut montrer en Orient. Vous pensez bien, monsieur, que les dix millions de francs que le gouvernement français a demandés aux chambres n’ont pas fait grande sensation dans notre pays, accoutumé aux demandes de subsides, en livres sterling, de M. Pitt. Nous verrions sans déplaisir, malgré nos habitudes de surveillance, votre pays prendre une attitude un peu forte dans cette affaire d’Orient, et vos flottes traverser la Méditerranée, en compagnie des nôtres ; mais votre situation politique ne nous paraissant pas changée, nous en concluons que votre attitude extérieure sera la même. Pour des démonstrations, soit en Orient, soit sur la côte d’Espagne, vous en ferez, nous n’en doutons pas ; mais peut-être le dernier ministère était-il plus libre de faire quelque chose de réel que celui qui dirige vos affaires maintenant. S’il ne s’y trouvait que des hommes d’opinions différentes, il y aurait moyen de s’entendre sur un certain nombre de questions, et, une fois vos ministres d’accord, nous pourrions nous attendre à les voir agir ; mais il me semble, autant que j’en puis juger de loin, que les paroles et quelques vaines mesures pourraient bien remplacer ici l’action. Je vois en effet, dans le cabinet, quelques ministres qui y sont entrés en empruntant à leurs