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une succession de sites variés et tous admirables. Le Danube entre dans la plus belle partie de son cours ; avant de se resserrer dans le passage de Columbacz, il s’étend, à perte de vue, jusqu’aux Balkans, dont les derniers mamelons forment la rive turque. Aux approches du défilé, le courant devient plus rapide, et les flots se brisent contre le rescif de Babakaï, dont la pointe aiguë et décharnée s’élève à trente pieds au-dessus de l’eau. Le nom que porte ce rocher menaçant lui a été donné en mémoire du fait suivant qu’a conservé la tradition. Un pacha vieux et jaloux, suspectant la fidélité d’une de ses esclaves, la fit monter dans une barque et la conduisit au pied de l’écueil ; alors, sur un signe de leur maître, des muets enlevèrent la malheureuse et l’enchaînèrent sur le roc isolé pour l’y laisser mourir de douleur et de faim. Insensible aux cris de la jeune femme, le pacha lui jeta pour adieu cette parole vengeresse que le peuple a retenue : Babakaï, fais pénitence. Ce drame est-il véritable ? qui peut le savoir ? mais les lieux sauvages où on le place sont dignes de lui avoir servi de théâtre.

Le défilé de Columbacz se présente enfin dans toute sa grandeur ; le Danube, qui, dix brasses plus haut, se développait à l’aise, est tout à coup encaissé dans une gorge étroite formée par des rochers gigantesques. Sur la crête de l’un d’eux, on aperçoit les ruines d’un ancien château, restes encore imposans de cette ligne de fortifications qui, de Rama au pont d’Apollidore, traçaient les menaçantes frontières de l’empire de Trajan. Après l’invasion des Barbares, des moines avaient fait de la forteresse un couvent que les Turcs, à leur tour, sont venus saccager et détruire. Deux bastions lézardés et quelques pans de murailles indiquent assez bien l’étendue et le plan des anciennes constructions. Les rochers de la rive gauche sont crevassés de larges cavernes que le fleuve a creusées dans ses jours de colère. À côté de l’histoire, on trouve la légende ; les paysans croient sérieusement que saint George tua le fameux dragon dans une de ces cavernes, et que c’est du cadavre putréfié du monstre que s’échappent les nuées d’insectes qui désolent le pays vers le mois de juillet.

À quelque distance de ce lieu, la scène change encore ; le paysage devient plus riant, et les belles collines de la Servie reparaissent avec leurs nombreux troupeaux et les jolies cabanes des pasteurs, dont les toitures rouges tranchent sur le vert tendre des sapins.

Le Zrinyi s’arrête à Drenkova, village qui n’est, pour ainsi dire, que projeté, car il ne se compose encore que de trois maisons. Les rescifs et les brisans ne permettent point aux pyroscaphes de continuer leur marche. En 1832, l’Argo, qui fait le trajet de Skéla à Galatz, affronta