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DE L’IRLANDE.

tout acte de vengeance et à tout attentat individuel. Chaque dimanche, ce fonctionnaire recueillait la rente catholique à la porte de l’église paroissiale ; chaque mois, il adressait son rapport à l’inspecteur provincial ; et ces innombrables rouages fonctionnaient avec une rapidité, se mouvaient avec une harmonie qu’un gouvernement constitué réclamerait vainement de ses agens officiels. Le comité catholique était à la fois pouvoir et faction : il participait de l’énergie de l’une et de l’autorité de l’autre.

Le clergé s’était tenu presque toujours en dehors des tentatives essayées jusqu’à cette époque, et l’on avait attribué à un relâchement du patriotisme ce qui pouvait avoir été une inspiration de la prudence. Son instinct lui fit, cette fois, pressentir l’heure de la délivrance : il comprit qu’il était appelé à en devenir le principal instrument, et se précipita avec ardeur dans la voie ouverte devant lui. De ce jour aussi, la noblesse catholique cessa de faire bande à part. Un des premiers soins d’O’Connell avait été de constituer, pour présenter une pétition à la couronne, un comité composé des pairs, des baronnets et de tous les fils de ceux-ci ; et l’un des hommes les plus respectés de l’aristocratie irlandaise, lord Killeen, vint prêter à l’association, dont il accepta la présidence, avec l’autorité de son nom le concours d’une dignité sans orgueil et d’une modération sans faiblesse. Enfin, les protestans favorables à l’émancipation politique furent conviés à prendre part aux travaux d’une société désormais nationale ; et ce fut dans les rangs des dissidens que la suprématie épiscopale rencontra ses ennemis les plus implacables, et la cause catholique ses défenseurs les plus dévoués.

Ainsi toutes les forces du pays s’étaient groupées en un seul faisceau ; un pouvoir s’était enfin organisé qui parlait à toutes les consciences, puisait dans toutes les bourses, et se trouvait assez fort pour armer des millions d’hommes, et en même temps pour les contenir. Un calme soudain avait interrompu le cours des désordres habituels ; à la voix de l’association, les populations rurales elles-mêmes avaient sursis à leur effroyable justice ; les esprits, tous à une seule pensée, ne vivaient plus que par elle, et la plus indisciplinée des nations prêtait à ses chefs une obéissance aveugle et presque fanatique. En face de ce grand mouvement le gouvernement anglais, avec ses juges de paix, ses sheriffs et ses constables, était comme bloqué en Irlande ; le bénéfice des siècles, comme celui de la force, semblait également perdu pour lui.

Nous n’avons pas à retracer ici les phases d’une lutte qui a pas-