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Avant de terminer cette importante époque de la vie de M. de Talleyrand, je ne dois pas oublier de dire que l’assemblée constituante lui avait confié la tâche de justifier, dans une adresse à la nation, son œuvre, attaquée par les partis. Dans cette adresse, M. de Talleyrand prête à l’assemblée un noble et spirituel langage. Au reproche d’avoir tout détruit, elle répond qu’il fallait tout reconstruire ; au reproche d’avoir agi avec trop de précipitation, elle répond qu’on ne parvient à se délivrer des abus qu’en les attaquant tous à la fois ; au reproche d’aspirer à une perfection chimérique, elle répond que les idées utiles au genre humain ne lui ont pas paru destinées à orner seulement les livres, et que Dieu, en donnant à l’homme la perfectibilité, ne lui a pas défendu de l’appliquer à l’ordre social. « Élevés au rang de citoyens, dit-elle aux Français, admissibles à tous les emplois, censeurs éclairés de l’administration quand vous n’en serez pas les dépositaires, sûrs que tout se fait et par vous et pour vous, égaux devant la loi, libres d’agir, de parler ou d’écrire, ne devant jamais compte aux hommes, toujours à la volonté commune, quelle plus belle condition ! Pourrait-il être un seul citoyen vraiment digne de ce nom qui osât tourner ses regards en arrière, qui voulût relever les débris dont nous sommes environnés, pour recomposer l’ancien édifice ? »

M. de Talleyrand eut bientôt l’occasion d’entrer dans la carrière où il devait acquérir sa principale renommée et se placer au rang des plus grands négociateurs. Nommé membre du directoire du département de la Seine avec Sieyès, le duc de La Rochefoucault, Rœderer, etc., il fut chargé, sous l’assemblée législative, d’une importante mission en Angleterre. L’interdiction des fonctions exécutives que s’étaient imposée les députés de la constituante ne permit pas de lui conférer le titre d’ambassadeur, dont M. de Chauvelin avait été revêtu ; mais il fut spécialement accrédité auprès du gouvernement anglais, dès le printemps de 1792, pour établir une alliance nationale, en opposition à l’alliance de famille, que les agens de la cour resserraient sur le continent, avec les maisons d’Autriche et de Bourbon.

L’état précaire de la révolution et le désaccord violent des partis disposaient peu le gouvernement anglais à s’engager dans une union étroite avec la France ; mais, à défaut d’alliance, M. de Talleyrand obtint une déclaration de neutralité qui était presque aussi utile, et qui désespéra les partisans de la coalition européenne, dont le désir était de presser la révolution entre les armées continentales et les flottes britanniques. Telle fut la première négociation de M. de Tal-