Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/197

Cette page a été validée par deux contributeurs.
193
LES SEPT CORDES DE LA LYRE.

le peintre.

Ah ! de grâce, un instant !…

le maestro.

Mais à quoi vous amusez-vous donc là, mon cher peintre ? Ne perdez pas le temps à faire autre chose.

le peintre.

Qu’est-ce que vous dites ? Vous ne voyez pas mes deux syrènes ? Il me semble que j’ai saisi la courbe avec le sentiment de la chose.

le critique.

Facétieux ! Vos deux satyres ne sont pas mal ; mais j’aime mieux les syrènes. Pourquoi, d’ailleurs, des satyres sur un pareil instrument ?

le peintre.

Voilà la véritable manière du critique. On lui donne à juger un poème héroïque, et quand il désespère d’y trouver à mordre, il taille sa plume, et il écrit : « En tant que poème, celui-ci renferme certainement quelques beautés, mais si nous le considérons (comme nous devons et comme nous voulons le considérer) sous le rapport de la géométrie et des sciences naturelles, nous sommes forcés de le classer au-dessous de tout ce qu’il y a de plus médiocre en ce genre, etc., etc. » (Au maestro) C’est cela, n’est-ce pas ?

le maestro.

De quoi parlez-vous, de la critique ou de votre dessin ?

le peintre.

Laissons la critique, je m’en moque. — Mes syrènes, ha !…

le maestro.

Vos satyres ?…

le peintre.

Vous aussi ? Bien ! courage ! C’est égal, elles sont parfaites.

le critique.

Vous avez la fantaisie de faire des satyres au lieu de syrènes : il ne faut jamais discuter sur la fantaisie de l’artiste ; mais à quoi bon regarder cette lyre, comme si vous faisiez semblant de copier ? Vous n’imitez pas seulement la pose.

le maestro.

Sans doute. Au lieu de ces deux figures si souples et penchées l’une vers l’autre avec tant de grace, vous tordez en arrière deux troncs grotesques, et vous les disposez dans un plan tout-à-fait inverse du