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LA HONGRIE.

le retour ; mais il lui est défendu de faire imprimer une ligne sans la permission du censeur impérial ; bien plus, il a besoin de la même autorisation pour lire un ouvrage étranger. Qu’il parcoure la Hongrie, les larges chapeaux des paysans tomberont tous devant lui, les hussards du comitat lui rendront les honneurs ; mais s’il désire voir Paris ou Londres, il lui faut long-temps solliciter son passeport à Vienne.

L’absence presque complète des majorats est pour l’aristocratie territoriale une cause de ruine plus active de jour en jour. Le partage des successions s’opère par têtes : la femme a l’usufruit des biens de son mari, les enfans n’en conservent que la nue propriété. Le château de la famille, loin d’être l’apanage du droit d’aînesse, appartient au dernier des fils. Le magnat, s’il laisse des enfans, ne peut pas disposer de sa fortune par testament ; s’il a vendu quelques-unes de ses propriétés, sans observer les minutieuses précautions exigées en pareil cas, tous ses parens ont quarante années pour exercer une action en réméré. Le fief étant attaché au nom, le dernier membre d’une race n’a la faculté de disposer que des acquêts ; la donation d’origine royale retourne à la couronne. Tous ces articles d’une loi qui n’est plus en accord avec les besoins nouveaux de la société sont la source d’interminables procès.

L’église forme un corps tout aussi compact, tout aussi puissant que la noblesse, et composé de soixante et dix mille membres. L’évêque primat de Gran est le chef du clergé catholique. Ses propriétés et ses revenus immenses l’obligent, en cas de guerre nationale, à fournir deux mille hommes d’armes, et, d’après la coutume du moyen-âge, il devrait lui-même les commander. Tous les bénéficiers, laïques ou clercs, sont soumis à un impôt de ce genre. Deux archevêques, ceux de Colossa et d’Eslau, dix-huit évêques diocésains et seize titulaires, cent quarante-sept couvens d’hommes et trois mille curés marchent sous la bannière du primat. L’église grecque est desservie par dix mille prêtres ou caloyers. Le haut clergé hongrois, il faut l’espérer, comprendra mieux sa mission que le clergé de France avant 89.

Et la bourgeoisie, cet élément si fort des sociétés modernes, cette classe victorieuse en France, cet appui de l’ordre, quelle place tient-elle en Hongrie ? Une place bien petite, et cela se conçoit. En Angleterre, en France et dans une partie de l’Allemagne, un grand développement industriel a mis les richesses en circulation ; la balance est devenue, comme l’épée, le symbole d’une aristocratie véritable.