Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/548

Cette page a été validée par deux contributeurs.
544
REVUE DES DEUX MONDES.

leures facultés, quand on pense que Weber n’a composé dans sa vie que cinq partitions ? Cependant il est impossible de ne pas reconnaître çà et là dans le Postillon de Lonjumeau, dans le Fidèle Berger, dans le Brasseur de Preston, etc., certaines qualités bouffes qui, sagement réglées, auraient, sans aucun doute, abouti à d’excellentes fins ; mais tout cela s’en va se perdre dans un fatras de notes assemblées sans choix, au hasard, comme elles se présentent, et dont la disposition mesquine décèle l’ouvrier hâtif plutôt que le maître sérieux. Que dire maintenant de Zurich, de la Mantille et de ces partitions en un acte de toute espèce, sortes de fleurs inodores qui poussent par milliers sur le sol de l’Opéra-Comique, et meurent sans laisser dans l’air la moindre trace mélodieuse ? Il semble, en vérité, qu’on devrait avoir plus d’égards pour les jeunes musiciens qui débutent ; il suffirait pour cela, au lieu de les accueillir au hasard, comme on fait, de choisir avec soin dans le nombre, et, quand on en aurait trouvé un digne de se produire, de lui confier une œuvre où son talent pût se développer à loisir. Tout au contraire, on obéit à je ne sais quel article d’un règlement stupide qui dit que tout lauréat de l’Institut, à son retour de Rome, peut prétendre à faire représenter un acte à l’Opéra-Comique. Or, je vous le demande, que signifie un pareil début ? Quel parti voulez-vous qu’on tire d’une forme étroite et mesquine qui n’admet ni symphonie ni morceaux d’ensemble, et fait son affaire d’une ariette pour le gosier de Mlle Berthault ? Aujourd’hui, un musicien qui écrit un acte pour l’Opéra-Comique, fût-il le chevalier d’Alayrac, cet aimable génie, sait au fond qu’il ne travaille que pour l’indifférence publique. Nous nous rappelons à ce propos une contestation des plus curieuses survenue entre le directeur du théâtre de la Bourse et le directeur du théâtre de la Renaissance. M. Crosnier prétend que M. Anténor Joly, dont le privilége ne s’étend pas au-delà des vaudevilles avec airs nouveaux, se permet de jouer des opéras-comiques, et réclame de lui toute sorte de dommages et intérêts. On le voit, le moment serait mal choisi pour discuter le mérite d’une œuvre telle que Lady Melvil ou l’Eau merveilleuse. Il s’agit de savoir si la musique de M. Grisar est de la musique ; nous n’oserions, quant à nous, nous prononcer sur ce point : la cour royale en décidera. En attendant, Mme Damoreau est rentrée au milieu d’un tonnerre d’applaudissemens et d’une pluie de fleurs. La voix de Mme Damoreau n’a guère subi d’altération ; c’est toujours la même souplesse, la même flexibilité suave ; c’est toujours ce talent ingénieux à suppléer par toute sorte de coquetteries vocales à la sonorité d’organe qui lui manque. Grace aux mille artifices dont elle sait disposer, grace surtout à la sollicitude du public de l’Opéra-Comique qui retient son souffle sitôt qu’elle fait mine de vouloir émettre un son, Mme Damoreau pourra chanter jusqu’à son dernier jour. Avec Mme Damoreau, le Domino noir a reparu ; on se presse maintenant au théâtre de la Bourse, on applaudit, on se laisse ravir par les folles gentillesses de cette charmante musique de M. Auber. Mme Damoreau est le vrai rossignol de ce pays ; dès qu’elle se tait, on devient morne et triste, la solitude règne partout ; mais aussi, à son retour, quelle joie ! Les vieux arbres