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REVUE DES DEUX MONDES.

— Ne veux-tu rien autre chose ? demanda Salaün, qui cachait à peine son trouble.

— Plus rien qu’une prière, Guillaume, et les vôtres à tous, mes compagnons d’études ; priez pour moi quand vous m’aurez vu tuer.

Et, se redressant sur ses genoux, le regard brillant d’une résolution suprême, il joignit les mains avec un transport pieux, et répéta tout haut, sur le ton cadencé de la déclamation bretonne :

« Maintenant bénédiction entière à la Trinité ! Maintenant je suis pur, je l’espère du moins ; mon courage est affermi. Que le fils de Dieu me garde ! je vais faire mon oraison avec un cœur sincère et aimant[1]. »

L’effet de ces vers fut magique ; il y eut parmi les Bretons comme un frémissement d’émotion ; tous les regards se rencontrèrent et toutes les voix répétèrent à la fois

— C’est la prière de la tragédie.

— D’où la sait-il ? demanda Guïader.

— C’était lui qui faisait sainte Nona, répliqua Salaün.

— Et moi Dieu le père, dit Menèz.

— Moi le prêtre, dit Ledu.

— Moi la Mort, dit Leguern.

Les souvenirs arrivèrent alors tous en même temps…

— C’est dans l’aire d’Olier Moreau que nous avons joué la première fois.

— Et il y avait une haie de sureau derrière le théâtre.

— Et un grand arbre d’aubépine qui jetait ses fleurs sur nous.

— Te souviens-tu comme on applaudissait ?

— Et comme il y avait de jolies filles à nous voir ?

Et ces souvenirs amenant à flots les réminiscences poétiques, chacun se mit à répéter son rôle. Mais bientôt la voix d’Ivon s’éleva de nouveau et domina toutes les autres :

« Seigneur Dieu, qui as créé les étoiles, mon heure est arrivée, je crois. Ô vierge Marie, je t’en conjure, délivre-moi de langueurs et de tourmens ! »

Menèz répondit :

« Moi, Dieu le père, j’ordonne à toi, Mort froide, de descendre

  1. La tragédie dont ce passage est tiré a été imprimée en 1837, sous ce titre : Buhez Santez Nonn, avec une introduction de l’abbé Sionnet et une traduction de Le Gonidec. Ce mystère a été composé en langue bretonne antérieurement au XIIe siècle.