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troisième personne que le poète lui adresse brusquement ces vers : Te circùm, etc., sans la nommer en aucune façon. « C’est tout cela, ajoute-t-il, qu’il faut imiter. Le traducteur met les alcyons volant autour de vous, infortunée Princesse. Cela ôte de la grace. » Je ne crois pas abuser du lecteur en l’initiant ainsi à la rhétorique secrète d’André[1].
Nina ou la Folle par amour, ce touchant drame de Marsollier, fut représentée, pour la première fois, en 1786 ; André Chénier put y assister ; il dut être ému aux tendres sons de la romance de Dalayrac :

Quand le bien-aimé reviendra
Près de sa languissante amie, etc.

Ceci n’est qu’une conjecture, mais que semble confirmer et justifier le canevas suivant qui n’est autre que le sujet de Nina, transporté en Grèce, et où se retrouve jusqu’à l’écho des rimes de la romance.
« La jeune fille qu’on appelait la Belle de Scio… Son amant mourut… elle devint folle… elle courait les montagnes (la peindre d’une manière antique). — (J’en pourrai, un jour, faire un tableau, un quadro)… et, long-temps après elle, on chantait cette chanson faite par elle dans sa folie :

Ne reviendra-t-il pas ? Il reviendra sans doute.
Non, il est sous la tombe : il attend, il écoute.
Va, Belle de Scio, meurs ! il te tend les bras ;
Va trouver ton amant : il ne reviendra pas ! »

Et, comme post-scriptum, il indique en anglais la chanson du quatrième acte d’Hamlet que chante Ophélia dans sa folie : avide et pure abeille, il se réserve de pétrir tout cela ensemble[2] !
Fidèle à l’antique, il ne l’était pas moins à la nature ; si, en imitant les anciens, il a l’air souvent d’avoir senti avant eux, souvent,
  1. Il disait encore dans ce même exquis sentiment de la diction poétique : « La huitième épigramme de Théocrite est belle (Épitaphe de Cléonice) ; elle finit ainsi : Malheureux Cléonice, sous le propre coucher des Pléïades, cum Pleiadibus occidisti. Il faut la traduire et rendre l’opposition de paroles… la mer t’a reçu avec elles (les Pléïades). »
  2. André était comme La Fontaine, qui disait :

    J’en lis qui sont du Nord et qui sont du Midi.

    Il lisait tout. M. Piscatori père, qui l’a connu avant la révolution, m’a raconté qu’un jour, particulièrement, il l’avait entendu causer avec feu et se développer sur Rabelais. Ce qu’il en disait a laissé dans l’esprit de M. Piscatori une impression singulière de nouveauté et d’éloquence. Cette étude qu’il avait faite de Rabelais me justifierait, s’il en était besoin, de l’avoir autrefois rapproché longuement de Régnier.