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SPIRIDION.

porter, sur les ailes de ma pensée, à la source de toutes les connaissances humaines, explorer la terre sur toute sa surface et jusqu’au fond de ses entrailles, interroger les monumens du passé, chercher l’âge du monde dans les cendres dont son sein est le vaste sépulcre, et dans les ruines où des générations innombrables ont enseveli le souvenir de leur existence ! Mais il fallait me contenter des observations et des conjectures de savans et de voyageurs dont je sentais l’incompétence, la présomption et la légèreté. Il y avait des momens où, échauffé par ma conviction, j’étais résolu à partir comme missionnaire, afin d’aller fouiller tous ces débris illustres qu’on n’avait pas compris, ou déterrer tous ces trésors ignorés qu’on n’avait pas soupçonnés. Mais j’étais vieux ; ma santé, un instant raffermie à l’exercice et au grand air des montagnes, s’était de nouveau altérée dans l’humidité du cloître et dans les veilles du travail. Et puis, que de temps il m’eût fallu pour soulever seulement un coin imperceptible de ce voile qui me cachait l’univers ! D’ailleurs, je n’étais pas un homme de détail, et ces recherches persévérantes et minutieuses que j’admirais dans les hommes purement studieux, n’étaient pas mon fait. Je n’étais homme d’action ni dans la politique, ni dans la science ; je me sentais appelé à des calculs plus larges et plus élevés ; j’eusse voulu manier d’immenses matériaux, bâtir, avec le fruit de tous les travaux et de toutes les études, un vaste portique pour servir d’entrée à la science des siècles futurs.

J’étais un homme de synthèse plus qu’un homme d’analyse. En tout j’étais avide de conclure, consciencieux jusqu’au martyre, ne pouvant rien accepter qui ne satisfît à la fois mon cœur et ma raison, mon sentiment et mon intelligence, et condamné à un éternel supplice ; car la soif de la vérité est inextinguible, et quiconque ne peut se payer des jugemens de l’orgueil, de la passion ou de l’ignorance, est appelé à souffrir sans relâche. Oh ! m’écriais-je souvent, que ne suis-je un chartreux abruti par la peur de l’enfer, et dressé comme une bête de somme à creuser un coin de terre pour faire pousser quelques légumes en attendant qu’il l’engraisse de sa dépouille ! Pourquoi toute mon affaire en ce monde n’est-elle pas de réciter des offices pour arriver à l’heure du repos, et de manier une bêche pour me conserver en appétit ou pour chasser la réflexion importune, et parvenir dès cette vie à un état de mort intellectuelle ! Il m’arrivait quelquefois de jeter les yeux sur ceux de nos moines qui, par exception, se sont conservés sincèrement dévots : Ambroise, par exemple, que nous avons vu mourir l’an passé en odeur de sainteté, comme ils