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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

en Gaule comme alliés, non comme ennemis des Romains. — Leurs rois ont reçu des empereurs les dignités qui conféraient le gouvernement de cette province, et par un traité formel ils ont succédé aux droits de l’empire. — L’administration du pays, l’état des personnes, l’ordre civil et politique sont restés avec eux exactement les mêmes qu’auparavant. — Il n’y a donc eu, aux Ve et VIe siècles, ni intrusion d’un peuple ennemi, ni domination d’une race sur l’autre, ni asservissement des Gaulois. — C’est quatre siècles plus tard que le démembrement de la souveraineté et le changement des offices en seigneurie produisirent des effets tout semblables à ceux de l’invasion étrangère, élevèrent entre les rois et le peuple une caste dominatrice et firent de la Gaule un véritable pays de conquête[1]. » Ainsi le fait de la conquête était retranché du Ve siècle pour être reporté au Xe avec toutes ses conséquences, et, par cette opération de chimie historique, la loi fondamentale de Boulainvillers, le droit de victoire, s’évanouissait, sans qu’il fût besoin d’en discuter la valeur ou l’étendue. En outre, tout ce dont l’établissement des Franks se trouvait déchargé en violences, en tyrannies, en barbarie, tombait à la charge de l’établissement féodal, berceau de la noblesse et de la noblesse seule, la royauté demeurant, comme la bourgeoisie, une pure émanation de la vieille société romaine.

Dans le projet et la pensée intime de son œuvre, l’abbé Dubos obéit, du moins on peut le croire, à l’influence de traditions domestiques ; car il était fils d’un marchand de Beauvais, ancien bourgeois et échevin de cette ville. Une chose certaine, c’est que le mode d’exécution lui fut en grande partie suggéré par sa science dans le droit public et son intelligence de la diplomatie. Non-seulement il avait étudié à fond la politique extérieure, les intérêts mutuels et les diverses relations des états, mais encore il avait rempli avec succès plusieurs missions délicates auprès des cours étrangères. De ses travaux et de ses emplois, il avait rapporté une merveilleuse souplesse d’esprit et la tendance à considérer l’histoire principalement du point de vue des alliances offensives ou défensives, des négociations et des traités. C’est sur la théorie de ces transactions politiques qu’il fonda son nouveau système ; il chercha une raison d’alliance entre les Romains et les Franks, et, dès qu’il l’eut trouvée, il en induisit audacieusement l’existence et la durée non interrompue de leur alliance

  1. Voy. Histoire critique de l’établissement de la monarchie française dans les Gaules (édition de 1742). Discours préliminaire, pag. 2, 22, 59, 60, et tom. IV, pag. 44, 289, 378, 416, 417, 418, 419, 420.