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à l’évènement qui semble marquer son berceau ? Voilà le problème historique dont la solution occupa surtout les esprits durant la première moitié du XVIIIe siècle, et qui souleva l’importante controverse où figurent les noms de Boulainvillers et de Dubos, et le grand nom de Montesquieu. C’est dans la détermination exacte de la nature et des résultats sociaux de la conquête que fut cherché alors le principe essentiel de la monarchie, cette loi fondamentale de l’état, que François Hotman, son inventeur, avait fait dériver de l’association spontanée des Franks et des Gaulois dans un même intérêt, dans une même liberté, dans une sorte de communion de la vieille indépendance germanique.

En histoire et généralement dans toutes les parties de la science humaine, les grandes questions n’éclatent pas tout d’un coup, et long-temps avant de devenir l’objet de l’attention publique, elles se traînent obscurément dans quelque livre où peu de personnes les remarquent et où elles demeurent enfouies jusqu’à ce que leur jour soit venu. À l’époque où toute conscience de la dualité nationale avait péri, et où l’on suivait naïvement jusqu’à la prise de Troye l’origine et les migrations d’un peuple français, à la fin du XIIe siècle, l’auteur d’une chronographie anonyme reconnut la distinction de races et crut en voir des suites manifestes dans l’état social de son temps[1]. Après avoir raconté, de la manière la plus fabuleuse, les aventures des Francs ou Français, et comment l’empereur Valentinien leur fit remise de tout tribut, parce qu’ils l’avaient aidé à exterminer les Alains, le chroniqueur ajoute : « Ainsi délivrés d’impôts, ils n’en voulurent plus payer dans la suite, et nul ne put jamais les y contraindre ; de là vient qu’aujourd’hui cette nation appelle Francs dans sa langue ceux qui jouissent d’une pleine liberté, et quant à ceux qui, parmi elle, vivent dans la condition de tributaires, il est clair qu’ils ne sont pas Francs d’origine, mais que ce sont les fils des Gaulois, assujettis aux Francs par droit de conquête[2]. »

  1. Cette chronographie, citée par Adrien de Valois, qui l’avait lue manuscrite, doit faire partie de quelqu’un des fonds de la Bibliothèque royale ; mais le défaut, pour les manuscrits anonymes, d’un catalogue rigoureusement spécial, m’a empêché de la retrouver. Adrien de Valois dit qu’elle s’arrêtait à l’année 1199, à la mort de Richard-Cœur-de-Lion. Selon toute apparence, elle fut écrite dans quelqu’une des provinces de la domination anglaise. Voy. Adriani Valesii, Notit. Galliar., pag. 209.
  2. Sic à tributo soluti nullum vectigal ulterius solvere voluerunt, nec quisquam jure belli posteà potuit eos redigere sub jugo tributi. Undè gens illa quos liberos esse constat Francos etiam num proprià linguâ vocat : et quos apud ipsos hujus modi vincula constringunt non Francos liquet esse sed Gallos, quos Franci sibi jure gentium subjecerunt (Anonymi chronographia apud Adriani Valesii, Notit. Galliar., pag. 209.) — Ce passage fit une grande im-