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DES SYSTÈMES HISTORIQUES.

l’immensité de l’entreprise, et son travail s’arrêta là. Tel qu’il est, cet ouvrage mérite le singulier honneur d’être cité d’un bout à l’autre à côté des sources de notre vieille histoire, comme un commentaire perpétuel des documens originaux. Tout s’y trouve éclairci et vérifié en ce qui regarde les temps, les lieux, la valeur des témoignages et l’authenticité des preuves historiques ; les lacunes des textes, les omissions et les négligences des chroniqueurs sont remplies et réparées par des inductions du plus parfait bon sens ; il y a exactitude complète quant à la succession des faits et à l’ordre matériel du récit, mais ce récit, on est forcé de l’avouer, manque de vie et de couleur. Le sens intime et réel de l’histoire s’y trouve, pour ainsi dire, étouffé par l’imitation monotone des formes narratives et de la phraséologie des écrivains classiques.

Si Adrien de Valois signale et fait remarquer, par la différence des noms propres, d’un côté latins ou grecs, de l’autre germaniques, la distinction des Gallo-Romains et des Francs après la conquête, il ne fait point ressortir les grandes oppositions de mœurs, de caractères et d’intérêts, qui s’y rattachent. L’accent de barbarie des conquérans de la Gaule, cette rudesse de manières et de langage exprimée si vivement par les anciens chroniqueurs, se fait peu sentir ou disparaît sous sa rédaction. « Personne que toi n’a apporté des armes si mal soignées : ni ta lance, ni ton épée, ni ta hache, ne sont en état, de servir[1] ; » cette apostrophe du roi Chlodowig au soldat dont il veut se venger, discours, sinon authentique, du moins évidemment traditionnel, se perd, chez le narrateur moderne, dans un récit pâle et inanimé : « Comme il passait l’armée en revue et examinait tous les hommes l’un après l’autre, il s’approcha du soldat dont il a été parlé ci-dessus, et, regardant ses armes, les prenant et les retournant plusieurs fois entre ses mains, il dit qu’elles n’étaient ni fourbies, ni affilées, ni propres au combat…[2]. » Et quand le même roi excite ses guerriers contre les Goths : « Je supporte avec peine que ces Ariens possèdent une partie des Gaules ; marchons avec l’aide de Dieu, et quand nous les aurons vaincus, réduisons leur terre en notre puissance[3] ; » au lieu de cette brusque allocution

  1. Nullus tam inculta ut tu detulit arma : nam neque tibi hasta, neque gladius neque securis est utilis. (Gregorii Turonensis, Historia Francorum eccles., lib. II, cap. XXVII.)
  2. Cùm exercitum recenseret, singulosque circuiret ac recognosceret, ad supradictum militem accessit, ejus arma diu multumque inter manus versans, negavit tersa, acuta, et ad pugnam habilia esse. (Adriani Valesii, Rerum Francicarum, tom. I, pag. 241.)
  3. Valdè molestè fero, quòd hi ariani partem teneant Galliarum. Eamus cum dei adjuto-