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fondemens : la capacité des hommes, les vœux du public, l’appréciation des circonstances. Il faut, disait-il, premièrement, choisir des hommes capables ; secondement, consulter les vœux du peuple ; troisièmement, agir selon les circonstances. En effet, la politique a cela de particulier et d’attrayant pour les esprits actifs et prompts, qu’elle n’est pas seulement la perception d’une idée, mais sa pratique ; elle la fait entrer dans le temps, et sous cette face, elle est la science des circonstances ; de plus, elle n’est pas un monologue de métaphysicien et de poète, mais une conversation continuelle avec le public, un appel perpétuel à l’opinion générale, tantôt pour la consulter, tantôt pour la redresser, toujours pour s’en accroître et pour s’en fortifier. Il semble que si un pays a jamais été créé pour comprendre ces devoirs de la politique, c’est à coup sûr le nôtre ; par quel malentendu inexplicable et fatal, plusieurs emploient-ils leurs efforts à retenir la politique française dans des positions depuis long-temps dépassées ou tournées par les faits ? L’Europe s’étonne avec raison que chez nous l’esprit reste en arrière de la réalité ; parfois la misère de nos discussions, la petitesse de nos débats, lui causent une fâcheuse surprise, et elle a peine à reconnaître cette promptitude et cette largeur d’intelligence qui, jusqu’à présent, nous ont conduits, caractérisés et soutenus à travers l’histoire. Heureusement, les méprises ne sont pas chez nous de longue durée, et de l’esprit de quelques-uns on peut en appeler à l’esprit général. On a dit depuis long-temps que la vérité était au concours ; cette sentence est juste, et il faut s’y conformer. Que chacun vienne donc produire ses labeurs et ses titres ; ce n’est pas nous qui déserterons l’arène de la parole et des idées. Dans les théocraties antiques, la vérité religieuse et sociale était promulguée de haut, reçue sans discussion, et silencieusement obéie ; dans les démocraties modernes, la vérité philosophique et politique est explorée en commun, proposée par plusieurs, discutée par tous, et librement pratiquée. Cette dernière condition de l’humanité est plus honorable pour elle que la première ; mais aussi elle est plus laborieuse : elle défend à l’homme de se reposer sur la foi d’une vérité toujours immobile, et lui impose la loi d’une persévérante activité.


Lerminier.