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REVUE DES DEUX MONDES.

À ces vagues déclamations, à ce réchauffé des idées de T. Payne, fondues avec celles de nos démagogues, le sens pratique et la conscience religieuse de la Grande-Bretagne s’alarmèrent ; la bourgeoisie des villes manufacturières déserta presque partout les unions politiques où elle était entrée au commencement de 1830, et les intérêts alarmés se groupèrent de toutes parts autour de la vieille constitution, dont le nom exerce encore sur tout Anglais une sorte de fascination prestigieuse. D’ailleurs, le volcan ouvert au cœur de la France avait cessé de jeter des flammes ; l’effervescence européenne s’était calmée, et le parti révolutionnaire, destitué par-là de son principal point d’appui, se trouva face à face avec une opinion à laquelle a profité le souvenir de nos désastres et de nos fautes. Alors commença ce mouvement signalé dans la sphère politique par des défections éclatantes, et dans les mœurs privées par un rajeunissement universel de l’esprit religieux ; et l’on dut avoir la certitude qu’un temps d’arrêt assez long allait arrêter la marche de l’Angleterre vers ses nouvelles destinées.

Si, au lieu de reprendre le pouvoir en 1834, à la première dislocation du ministère Melbourne motivée sur la sortie de lord Althorp de la chambre basse, les tories modérés avaient attendu quelques années, la tentative du duc de Wellington et de sir Robert Peel eût pu se présenter avec des chances très différentes. L’appel prématuré de Guillaume IV aux chefs de cette opinion, leur a été plus fatal que la réforme elle-même. Aujourd’hui, maîtres de la chambre haute, puissans dans la chambre des communes, et rencontrant plus d’obstacles dans la cour que dans le parlement, ayant d’ailleurs en face d’eux un cabinet très honorable dans ses membres, mais de peu de consistance politique, puisqu’il vit par une alliance qui chaque jour peut lui manquer, les ministres désignés du parti conservateur attendent dans une attitude de modération hautaine un avenir qui ne semble guère pouvoir leur échapper.

Mais cet avenir sera-t-il définitif ? Nous sommes loin de le penser. Nous croyons la politique anglaise destinée à subir encore l’empire de ces nécessités suprêmes sous lesquelles nous venons de la voir se courber par deux fois. D’ailleurs, le temps marche même en ce pays, et chaque jour la législature porte la cognée aux branches du vieil arbre, tout en en respectant le tronc. Dans une dernière partie de ce travail nous constaterons ce que déjà l’Angleterre doit à la réforme, et les résultats qui tôt ou tard ne peuvent manquer d’en sortir.


L. de Carné.