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SPIRIDION.

tre à mes yeux stupéfaits : tantôt je voyais la belle chevelure du maître flamboyant dans l’incendie, et ses yeux pleins de souffrance, de colère et de douleur, se tourner vers moi ; tantôt je voyais brûler seulement une effigie, aux acclamations grossières et aux rires des moines. Enfin je m’éveillai baigné de sueur et brisé de fatigue. Mon oreiller était trempé de mes pleurs. Je me levai, je courus ouvrir ma fenêtre. Le jour naissant dissipa mon sommeil et mes illusions ; mais je restai tout le jour accablé de tristesse, et frappé de la force et de la justesse des reproches qui retentissaient encore dans mes oreilles.

Depuis ce jour, le remords me consuma. Je reconnaissais dans ce rêve la voix de ma conscience qui me criait que dans toutes les religions, dans toutes les philosophies, c’était un crime que d’édifier la puissance du fourbe et d’entrer en marché avec le vice. Cette fois la raison confirmait cet arrêt de la conscience ; elle me montrait dans le passé Spiridion comme un homme juste, sévère, incorruptible, ennemi mortel du mensonge et de l’égoïsme ; elle me disait que là où nous sommes jetés sur la terre, quelque fausse que soit notre position, quelque dégradés que soient les êtres qui nous entourent, notre devoir est de travailler à diminuer le mal et à faire triompher le bien. Il y avait aussi un instinct de noblesse et de dignité humaine qui me disait qu’en pareil cas, lors même que nous ne pouvions faire aucun bien, il était beau de mourir à la peine en résistant au mal, et lâche de le tolérer pour vivre en paix. Enfin je tombai dans la tristesse. Ces études, dont je m’étais promis tant de joie, ne me causèrent plus que du dégoût. Mon ame appesantie s’égara dans de vains sophismes, et chercha inutilement à combattre, par de mauvaises raisons, le mécontentement d’elle-même. Je craignais tellement, dans cette disposition maladive et chagrine, de tomber en proie à de nouvelles hallucinations, que je luttai pendant plusieurs nuits contre le sommeil. À la suite de ces efforts, j’entrai dans une excitation nerveuse pire que l’affaiblissement des facultés. Les fantômes que je craignais de voir dans le sommeil apparurent plus effrayans devant mes yeux ouverts. Il me semblait voir sur tous les murs le nom de Spiridion écrit en lettres de feu. Indigné de ma propre faiblesse, je résolus de mettre fin à ces angoisses par un acte de courage. Je pris le parti de descendre dans le caveau du fondateur et d’en retirer le manuscrit. Il y avait trois nuits que je ne dormais pas. La quatrième, vers minuit, je pris un ciseau, une lampe, un levier, et je pénétrai sans bruit dans l’église, décidé à voir ce