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manières gauches, un air lourd, une ame appesantie. Je faisais ces choses, non pour me réconcilier avec ces hommes que je commençais à mépriser, mais pour voir si le père Alexis les avait bien jugés. Je pus me convaincre de la justesse de ses paroles, en entendant le prieur m’annoncer que la vérité était enfin connue, que j’avais été injustement accusé d’une faute qu’un novice venait de confesser. — Le prieur devait, disait-il, à la contrition du coupable et à l’esprit de charité, de me taire son nom et la nature de sa faute ; mais il m’exhortait à reprendre ma place à l’église et mes études au noviciat, sans conserver ni chagrin ni rancune contre personne. Il ajouta en me regardant avec attention : — Vous avez pourtant droit, mon cher fils, à une réparation éclatante ou à un dédommagement agréable pour le tort que vous avez souffert. Choisissez, ou de recevoir en présence de toute la comnmnauté les excuses de ceux des novices qui, par leurs officieux rapports, nous ont induits en erreur, ou bien d’être dispensé pendant un mois des offices de la nuit.

Jaloux de poursuivre mon expérience, je choisis la dernière offre, et je vis aussitôt le prieur devenir tout-à-fait bienveillant et familier avec moi. Il m’embrassa, et le père trésorier étant entré en cet instant : — Tout est arrangé, lui dit-il ; cet enfant ne demande, pour dédommagement du chagrin involontaire que nous lui avons fait, autre chose qu’un peu de repos pendant un mois, car sa santé a souffert dans cette épreuve. Au reste, il accepte humblement les excuses tacites de ses accusateurs, et il prend son parti sur tout ceci avec une grande douceur et une aimable insouciance. — À la bonne heure ! dit le trésorier avec un gros rire et en me frappant la joue avec familiarité, c’est ainsi que nous les aimons, c’est de ce bon et paisible caractère qu’il nous les faut.

Le père Alexis me donna un autre conseil, ce fut de demander la permission de m’adonner aux sciences, et de devenir son élève et le préparateur de ses expériences physiques et chimiques. — On te verra avec plaisir accepter cet emploi, me dit-il, parce que la chose qu’on craint le plus ici, c’est la ferveur et l’ascétisme. Tout ce qui peut détourner l’intelligence de son véritable but et l’appliquer aux choses matérielles, est encouragé par le prieur. Il m’a proposé cent fois de m’adjoindre un disciple, et, craignant de trouver un espion et un traître dans les sujets qu’on me présentait, j’ai toujours refusé sous divers prétextes. On a voulu une fois me contraindre en ce point, et j’ai déclaré que je ne m’occuperais plus de science et que j’abandonnerais l’observatoire, si on ne me laissait vivre seul et à ma guise.