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dans cette partie de la presse anglaise qui relève plus ou moins du ministère, peu de sympathie pour le pacha d’Égypte, des observations très sévères, pour ne pas dire injustes, sur l’administration de la Syrie par Ibrahim-Pacha, et sur l’état de cette belle province sous la domination égyptienne ; un zèle exagéré à défendre les droits du sultan, et l’affectation d’une grande surprise quand un journal français a présenté dernièrement des réflexions très raisonnables sur le tort qu’on semblait vouloir faire à Méhémet-Ali par l’abolition des monopoles. Cependant l’Angleterre avait paru depuis quelque temps se rapprocher du pacha d’Égypte. Lui-même avait reconnu ce changement de politique par une bienveillance marquée envers tout ce qui était anglais. Il a maintenant en Angleterre une espèce de légation industrielle qui parcourt les trois royaumes, visitant les grandes manufactures, interrogeant leurs chefs, étudiant à la fois la production et la consommation, les moyens de transport, les inventions nouvelles, et se familiarisant avec les principaux élémens de la puissance commerciale de la Grande-Bretagne. Quand le gouvernement anglais, après l’insuccès des tentatives faites sur l’Euphrate, s’est occupé de perfectionner les communications entre l’Hindostan et l’Europe par Bombay, le golfe Arabique et Cosseyr ou Suez, Méhémet-Ali a fait tout ce qui dépendait de lui pour favoriser ce projet, aujourd’hui entièrement réalisé, en ce qui concerne l’Égypte. Il me semble que ce sont là de fortes présomptions et des raisons excellentes pour espérer que l’Angleterre ne veut pas maintenant, en vue d’un intérêt mesquin, se mettre à la suite des ressentimens de Constantinople et concourir à la ruine du vice-roi. Cet intérêt de commerce, qui l’y déterminerait, peut être satisfait autrement, par des combinaisons différentes, plus favorables à la civilisation de l’Orient, et, je ne crains pas de le dire, d’une meilleure politique. Toutefois, je ne me le dissimule pas, l’Angleterre pourrait avoir d’autres vues. Il est possible qu’elle veuille arrêter dans son développement et empêcher de se consolider une puissance qui tiendrait une si grande place dans la Méditerranée, le jour où elle serait définitivement constituée ; une puissance qui serait maîtresse de ses communications avec l’Inde, et par Suez et par l’Euphrate, si de nouveaux essais sur ce fleuve avaient une meilleure issue ; une puissance qui tendrait nécessairement à former une marine dans le golfe Arabique, et dominerait les plus importans débouchés du commerce de l’Afrique intérieure et d’une partie de l’Asie. Je me rappelle à ce sujet un fait assez ancien déjà, mais qui n’est pas étranger à la question, et dont on peut tirer des inductions parfaitement applicables ici. Après l’évacuation de l’Égypte par les Français, la flotte anglaise emmena à Londres un des plus puissans chefs de mamelouks, le bey l’Elfy, que le gouvernement de cette époque attacha étroitement à ses intérêts, et qu’il renvoya ensuite en Égypte, comblé de présens et de promesses dont l’effet ne se fit pas long-temps attendre ; car bientôt les intrigues de l’Angleterre à Constantinople obtinrent le rétablissement des mamelouks, l’envoi d’un représentant de la Porte au Caire, suivant l’ancien usage, et le rappel de Méhémet-Ali, qui déjà, par suite de révolutions intérieures, avait obtenu le gouvernement de l’Égypte. Le bey l’Elfy, le